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HistoireAllemagne

Une visite à Auschwitz, c'est un appel à la responsabilité

Christoph Strack | Konstanze Fischer
26 janvier 2024

Juste avant le 79ème anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau, la DW a accompagné des lycéens allemands sur le site de l'ancien camp de concentration et d'extermination nazi.

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Des élèves de Kerpen photographiés de dos devant le mémorial d'Auschwitz-Birkenau
Près de 80 ans après l'Holocauste, quel est le rôle des lieux de mémoire ? Image : Privat

"Je tenais absolument à faire ce voyage". Cara a 17 ans, elle fréquente un lycée à Kerpen, près de Cologne, dans l'ouest de l'Allemagne. Cette semaine, quelques jours avant le 79ème anniversaire de la libération du campd'Auschwitz-Birkenaule 27 janvier 1945, avec d'autres élèves de son établissement, elle fait un voyage de classe en Pologne pour visiter le site mémoriel de ce qui fut l'ancien camp de concentration et d'extermination. Un lieu terrifiant où les nazis ont, jusqu'en 1945, assassiné plus d'un million de personnes, principalement des juifs mais aussi des Sinti et des Roms, des homosexuels, des opposants politiques, des religieux ou encore de simples civils.

"On marche dans le camp", explique Cara d'un ton calme "et tout d'un coup, on se rend compte qu'ici même, il y a 80 ans, se trouvaient les personnes qui y étaient détenues et maltraitées de la façon la plus terrible qui soit".

Auschwitz, un camp symbole

Pas facile, à 17 ou 18 ans, d'être dans un lieu devenu le symbole de l'extermination systématique d'êtres humains. Depuis l'automne dernier, Cara, Elias et Tamara, qui sont en classe de terminale, se sont préparés avec une vingtaine d'autres camarades à passer une semaine au Centre international de rencontre pour la jeunesse d'Auschwitz.

Survivors - Portraits de rescapés de l'Holocauste

"La participation se fait sur une base volontaire mais il faut quand même déposer un dossier de candidature", explique Katrin Kuznik, professeur à Kerpen. Elle a organisé plusieurs fois ce type de voyage et sait ce que cela représente comme investissement et comme responsabilité. Mais, jusqu'ici, l'enseignante ne peut que constater que les séjours se sont toujours bien passés, notamment parce que les lycéens étaient bien préparés.

L'Allemagne, l'extrême droite, la mémoire

Près de 80 ans après les faits et alors que l'Allemagne est actuellement confrontée à une monté des forces d'extrême droite avec le succès du parti AfD (Alternative für Deutschland), comment faire pour entretenir la mémoire ? Comment faire pour que l'histoire ne se répète pas alors que les témoins de cette époque, les derniers survivants disparaissent ? Comment cultiver la responsabilité de chacun, au-delà des discours officiels lors des journées commémoratives ? 

Selon un rapport récent de la Jewish Claims Conference, 245.000 victimes de l'Holocauste sont encore en vie, dont 14.200 en Allemagne.

La plupart de ces personnes sont très âgées et peu d'entre elles peuvent encore témoigner publiquement, devant des élèves par exemple. Mais quand elles le font, il y a un mot qui vient à l'esprit de Christoph Heubner, vice-président du Comité international d'Auschwitz, c'est le mot "généreux". "En partageant un pan de leur vie intérieure, leur douleur d'avoir perdu une petite sœur, une père, une mère, toute une famille peut-être, ils font preuve de générosité envers les gens qui vivent aujourd'hui."

Responsabilité commune

Christoph Heubner a pu constater à quel point les rencontres avec des survivants de l'Holocauste sont essentielles, en particulier pour les jeunes gens. Mais il ne s'inquiète pas pour autant : selon lui, chaque génération renouvelle le souvenir à sa manière. Auschwitz provoque toujours un choc dans le sens positif du terme – une réaction émotionnelle et intellectuelle. Que ce soit à travers un film, un livre ou une visite dans un musée : chaque génération trouvera, dit-il, son chemin pour se plonger dans l'histoire de l'Holocauste.

"Hitler n'a pas survécu, mais moi si !"

Sur place à Auschwitz, parmi les personnes rencontrées par les jeunes visiteurs, il y a Manfred Deselaers. Le prêtre catholique de 68 ans vit depuis plus de 30 en Pologne et se consacre à la réconciliation entre Allemands et Polonais et entre chrétiens et juifs.

Pour lui, visiter Auschwitz aujourd'hui, "ce n'est pas seulement une affaire de connaissances. C'est aussi une question de vocation : comment devons-nous vivre aujourd'hui pour pouvoir regarder les survivants dans les yeux, en toute bonne conscience ?".

Selon le prêtre, tous les adolescents qui viennent ici, peu importe leur origine, "partagent le sentiment qu'il ne s'agit pas seulement du deuil de la souffrance passée et de l'hommage aux morts mais d'un appel à la responsabilité pour notre monde commun". Se souvenir, explique-t-il encore au micro de la DW, c'est aussi se dire "c'est arrivé donc c'était possible. Donc c'est possible, donc cela peut se reproduire. Auschwitz décrit la dimension de notre responsabilité."

"Compréhension plus profonde"

Une responsabilité que semblent saisir aussi les lycéens de Kerpen lorsqu'ils visitent ce lieu oppressant qu'est Auschwitz. Pour Elias, plus qu'un musée qui est un lieu pour les yeux, "ici", dit-il, "on se promène, on voit, on perçoit physiquement. Cela permet de développer une compréhension bien plus profonde (...) et cela enrichit".

75e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz

Tamara estime de son côté qu'il est essentiel de donner aux élèves la possibilité de se rendre dans un tel lieu, que ce soit Auschwitz ou un autre site mémoriel. "Cela n'a rien à voir" avec les cours d'histoire.

Début décembre 2023, deux mois après l'attaque du Hamas sur Israël, les ministres de l'Education des différentes régions allemandes ont longuement réfléchi aux mesures à prendre pour contrer l'antisémitisme et l'hostilité envers Israël. Ils ont aussi plaidé pour que la transmission des connaissances sur l'antisémitisme, le passé et le présent de la communauté juive se fasse de manière systématique.

En attendant, les élèves de Kerpen vont, eux, rentrer en Rhénanie remplis d'impressions. Et selon Katrin Kuznik, leur enseignante, peut-être qu'ils auront aussi compris, au vu de la situation politique actuelle, "qu'un tel voyage est devenu encore plus important qu'il y a quelques années".