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La ministre allemande de la Défense démissionne

16 janvier 2023

Christine Lambrecht a présenté sa démission à Olaf Scholz. Le chancelier promet de nommer rapidement quelqu'un pour lui succéder à la Défense.

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Christine Lambrecht, lors d'une conférence de presse à Berlin (13.01.2023)
Christine Lambrecht, ministre de la Défense démissionnaireImage : Kay Nietfeld/dpa/picture alliance

L'annonce ne surprend guère et c'est pourtant un coup de tonnerre au sein du gouvernement fédéral allemand ! La ministre allemande de la Défense a présenté sa démission ce lundi [16.01]. Christine Lambrecht était acculée par les médias et l’opinion publique suite à une série de faux-pas. Le dernier en date remonte à la vidéo que l’encore-ministre a postée sur son compte Twitter pour le Nouvel An.

La vidéo de trop

C’est cette vidéo qui aura coûté son poste à Christine Lambrecht. D’abord l’enregistrement est de piètre qualité.

On y voit la ministre, cheveux au vent, adresser un message de bonne année peu audible aux internautes, dans une rue de Berlin. Et alors qu’elle évoque maladroitement la guerre en Ukraine, des fusées de feux d’artifice éclatent dans le ciel au-dessus de sa tête. Une image qui dessert les propos de la ministre dans une situation très tendue. Ses conseillers ont dû expliquer que la vidéo avait été postée par la ministre de son propre chef, sans validation préalable de ses services.

Depuis le 1er janvier, la ministre s’attirait des critiques de toutes parts, son départ a été officialisé par une porte-parole du gouvernement, Christiane Hoffmann, en ces termes  : 

"Comme vous le savez, la ministre fédérale de la Défense, Christine Lambrecht, a présenté aujourd’hui sa démission au chancelier. Le chancelier respecte la décision de Madame Lambrecht et la remercie pour son travail de ministre en ces temps difficiles."

Photo d'une façade éventrée après un bombardement à Dnipro (14 janvier 2022 en Ukraine)
La guerre en Ukraine a attiré l'attention sur le sous-équipement de l'armée allemandeImage : Ukrinform/dpa/picture alliance

Sous-équipement et guerre en Ukraine

Des temps difficiles, en effet, d’autant que Christine Lambrecht, membre du parti social-démocrate, le SPD, comme le chancelier Olaf Scholz, voulait déjà avant les dernières élections législatives de 2021 mettre un terme à sa carrière politique. Et puis elle a été choisie pour occuper le poste de ministre de la Défense. Juriste de formation, elle savait en acceptant ces charges que l’armée allemande se trouvait en position délicate. La Bundeswehr se plaignait d’être sous-équipée. La ministre avait promis de faire du renforcement des troupes sa priorité.

La guerre en Ukraine a attiré l’attention sur les militaires, le chancelier a octroyé une enveloppe exceptionnelle de 100 milliards d’euros à l’armée l'an dernier. Malgré ce budget historique accordé à la Défense dans l’Allemagne réunifiée, les réformes ont mis plusieurs mois à être enclenchées.

Les retards dans la livraison d’armement à l’Ukraine ont suscité de nombreuses critiques, en Allemagne comme à l’étranger. Les premiers chars de combat allemand, les Leopard, ne seront disponibles qu’en 2024, car toujours en cours de production. Et pour l'heure le gouvernement allemand refuse de toutes façons de les livrer à l'Ukraine, alors que les autres alliés occidentaux de Kiev ont déjà commencé à lui livrer de l’armement lourd.

Des faux-pas impopulaires

Dès sa nomination comme ministre de la Défense en décembre 2021, les faits et gestes de Christine Lambrecht ont été suivis de près.

Des propos ont été rapportés selon lesquels la nouvelle ministre aurait demandé à sa prise de fonctions si elle devait tout de suite apprendre les différents grades de l’armée.

Elle a également été critiquée pour avoir porté des chaussures à talons lors de sa visite aux troupes allemandes stationnées au Mali, en avril 2022.

Son annonce d’envoi de 5000 casques aux soldats ukrainiens dont le pays était menacé d’invasion par la Russie, en janvier 2022, lui a valu également critiques et quolibets.

D’un point de vue personnel, Christine Lambrecht a surtout été affaiblie au printemps 2022 alors qu’elle avait utilisé un hélicoptère de la Bundeswehr pour se rendre en vacances sur l’île de Sylt avec son fils qui avait posté une photo d’eux durant le vol sur son compte Instagram.

Christine Lambrecht et son fils Alexander
Christine Lambrecht et son fils Alexander ont défrayé la chronique en utilisant un hélicoptère de la Bundeswehr pour partir en vacancesImage : Jens Schlueter/Getty Images

Action au Sahel

Certains relèvent toutefois le courage politique de Christine Lambrecht qui, en visite au  Mali en décembre 2022, a dit clairement que soit les autorités maliennes acceptaient que les drones allemands survolent le territoire malien, soit la Bundeswehr se retirait des missions internationales au Mali. Or les drones Heron ne décollent plus depuis le 23 décembre, alors la question d'une suspension de la participation des troupes allemandes stationnées au Mali se pose derechef, pour faire suivre les propos de la ministre démissionnaire d'effets.

Lors de ce voyage, la ministre a par ailleurs annoncé à Niamey que l'armée allemande allait participer à la nouvelle mission européenne au Niger de façon "substantielle" - en l'occurrence à hauteur de 200 à 250 soldats, chargés de la formation et de la logistique.

"Nous voulons continuer à participer avec succès à la stabilisation de cette région", déclarait alors Christine Lambrecht, citant l'opération "Gazelle" comme modèle, une mission d'entraînement des forces armées nigériennes à la lutte contre les djihadistes. La ministre avait également souligné l'importance de donner des "perspectives" à la population civile du Sahel.

Réactions mesurées ou remontées

Parmi les nombreuses réactions provoquées par sa démission, beaucoup regrettent que la ministre ne fasse aucune allusion à ses manquements dans son message posté sur Facebook et qu’elle dénonce seulement l’acharnement de la presses sur sa personne : "La focalisation des médias sur ma personne pendant des mois", écrit la ministre démissionnaire, "empêche toute reportage et toute discussion objective sur les troupes, la Bundeswehr et les choix en matière de politique de sécurité dans l'intérêt des citoyennes et citoyens allemands".

Au sein du gouvernement, les écologistes se refusent à commenter ce départ. Les libéraux du FDP réclament que la décision soit prise rapidement, sur la base des compétences plus que l’appartenance à un parti. 

Dans l’opposition les conservateurs (CDU) verraient bien Eva Högl (SPD), élue de Berlin et déjà commissaire parlementaire aux forces armées, qui connait les dossiers de défense.

A l’extrême droite, l’AfD attaque le chancelier pour cette "défaite cuisante". A l’extrême gauche, die Linke estime que le ridicule aurait déjà dû pousser d’autres ministres à la démission, que "le problème, ce ne sont pas les vidéos honteuses du Nouvel An" mais qu’ "autant d’argent soit dépensé dans l’industrie de l’armement."

Les successeurs potentiels

Pour l’heure, le nom de la personne figure qui succèdera à Christine Lambrecht au ministère de la Défense n’a pas encore été dévoilé. Mais plusieurs noms circulent :

Lars Klingbeil, président du SPD (en septembre 2022)
Lars Klingbeil, président du SPD, pressenti pour la Défense?Image : Fabian Sommer/dpa/picture alliance
  • Lars Klingbeil (le président du SPD). A 44 ans, il a lui-même grandi dans une famille de soldats. Il est député de la circonscription dans laquelle se trouve un site important de la Bundeswehr, près de Münster. Il est membre-adjoint de la commission du Bundestag sur la Défense.

 

  • Hubertus Heil. Egalement membre du SPD, il est actuellement ministre du Travail et des Affaires sociales. Ancien secrétaire-général du SPD, il passe pour être un défenseur acharné des valeurs démocratiques. Le chancelier l’a qualifié de "tenace et intelligent" fin 2021, mais il n’est pas spécialiste des questions de défense.

 

  • Wolfgang Schmidt. Il est actuellement ministre de la chancellerie. Auparavant, il a occupé les fonctions de conseiller personnel du secrétaire-général du SPD, il a travaillé deux ans pour l'Organisation internationale du Travail, l’OIT. Proche conseiller du chancelier Olaf Scholz qui risque de ne pas vouloir se passer de ses services à la chancellerie.
Eva Högl en interview avec la DW (archive de 2021)
Eva Högl figue parmi les noms favoris cités pour succéder à Christine Lambrecht au ministère de la DéfenseImage : DW
  • Eva Högl. A 54 ans, cette élue sociale-démocrate est chargée des questions de défense au sein du Bundestag depuis juin 2020. Du fait de ces attributions, elle connait bien les troupes auxquelles elle rend régulièrement visite sur le terrain et évoque souvent les problèmes d’équipement de la Bundeswehr. Elle a réclamé très tôt l’envoi de chars en Ukraine et est la candidate favorite de l’opposition conservatrice car elle remplit les critères pour être ministre, selon la CDU : "affinité avec les troupes, grande disponibilité et expérience préalable".

 

  • Et enfin Siemtje Möller, députée SPD depuis décembre 2021. Secrétaire d’Etat parlementaire au sein du ministère de la Défense sous Christine Lambrecht où elle s’occupe de politique, de techniques de l’information et cybertechnique, de direction des forces armées, de la stratégie d’intervention et du personnel. Elle a également occupé les fonctions de porte-parole du SPD pour les questions de défense.

Le chancelier promet de se décider rapidement. D’abord parce qu’en pleine guerre en Ukraine, le ministère de la Défense a pris une importance nouvelle en Allemagne. Et puis parce que l’Allemagne accueille vendredi [20.01.23] une conférence internationale en soutien à l’Ukraine, sur la base militaire de Ramstein.