Le Cameroun face à la santé et la succession de Paul Biya
11 octobre 2024Les autorités camerounaises ont interdit aux médias de débattre de l’état de santé du président Paul Biya, âgé de 91 ans. Cette décision a été prise à la suite de rumeurs alarmantes qui circulent notamment sur les réseaux sociaux et qui font état d’une dégradation de son état de santé.
Le contrôle strict de la communication autour de l’état de santé du président Paul Biya reflète une nervosité palpable au sein de la classe dirigeante camerounaise. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette réaction.
Tout d’abord, Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, incarne non seulement une figure centrale de l’État, mais aussi une stabilité apparente pour ses partisans.
Contrôle accru de la communication
D'après certains observateurs, le pouvoir craint que des discussions autour de la santé du président puissent déclencher une incertitude politique et ouvrir la porte à des revendications pour un changement de leadership, voire des soulèvements.
"Tout cela peut augurer ou peut laisser entendre que certaines personnalités du régime craignent ou redoutent ce que tout le monde, à un moment donné, attend. Et je ne peux pas comprendre que son entourage soit aussi frileux face au chant du cygne. C’est de ça qu’il s’agit", a estimé le journaliste camerounais Jean-Célestin Edjangué
La succession du président Biya est une question sensible, gérée discrètement dans les coulisses par son camp disent certains anaylstes. Pourtant, la Constitution camerounaise prévoit une procédure claire en cas de vacance du pouvoir ou d’incapacité définitive du président.
Dans l’un ou l’autre cas, le président du Sénat est chargé d’assurer l’intérim et d’organiser de nouvelles élections dans un délai de 120 jours. Mais au Cameroun, le président du Sénat, lui-même très affaibli par l’âge, pourrait avoir des difficultés à remplir cette mission.
La transition politique dans un contexte de long règne présidentiel reste délicate, car Paul Biya a su maintenir un équilibre complexe entre pouvoirs et alliances.
Bien que les autorités insistent sur l’excellent état de santé du président, l’interdiction de débattre de cette question soulève des interrogations sur la préparation de l’après-Biya.
Préparer la succession en douceur ?
À 91 ans, il est légitime de se demander si cette interdiction ne vise pas à masquer des discussions internes sur sa succession.
"Il pourrait retarder cela, mais ils auront à terme du mal à l’empêcher. Que ce soit le ministre de l’administration territoriale ou d’autres pontes du régime, ils devraient avoir la sagesse d’admettre ou d’accepter qu’un changement pacifique puisse se produire", a expliqué l’homme politique camerounais, Paul Tchakoté, ancien membre du parti d’opposition SDF.
L’élection présidentielle est prévue pour 2025, mais l’actuel président n’a pas encore indiqué s’il se porterait à nouveau candidat, même si ses partisans le souhaitent. Certains observateurs estiment que la classe politique camerounaise, particulièrement les membres influents du régime, pourrait se concentrer sur la mise en place d’une transition imposée.
Chantal Biya, l’épouse du président, pourrait également jouer un rôle dans cette éventuelle transition, étant l’une des personnalités les plus influentes du cercle proche du président, a confié un journaliste camerounais sous couvert d’anonymat.
En réalité, le manque de transparence sur la santé de Paul Biya pourrait aussi être une stratégie pour prolonger le statu quo et retarder les discussions autour d’une possible relève.
Ce scénario est d’autant plus crédible que l’opposition camerounaise demeure fragmentée, laissant au régime actuel une marge de manœuvre considérable pour consolider son pouvoir avant les prochaines échéances électorales. Les rumeurs sur sa santé du président sont donc perçues comme des tentatives de perturber cet équilibre fragile.