Alassane Ouattara et la tentation du quatrième mandat
28 mai 2024L’appel lundi (27.05.2024) à la candidature du président Alassane Ouattara fait suite à un meeting qui a réuni, début mai, plusieurs ministres et des dizaines de milliers de partisans à Korhogo, dans le nord de la Côte d'Ivoire.
Alors est-ce un autre ballon d’essai ? Alassane Ouattara va-t-il se laisser tenter ?
Son parti, le RHDP, qui le considère comme le candidat naturel pour la présidentielle d’octobre 2025, a bien l’intention de lui demander d’accepter la candidature.
Arthur Banga, maître de conférences en histoire à l'université Félix Houphouët-Boigny d'Abidjan et analyste politique estime qu' "aujourd’hui, c’est la personne [Alassane Ouattara] qui unifie tout le RHDP, c’est le socle commun".
"Et puis, cela permet de calmer un peu les ardeurs au cas où il y aurait des successeurs trop pressés. Il y a des prétendants dans l’ombre dont il faut calmer les ardeurs. Il faut rappeler que le chef c’est Alassane Ouattara et que la décision lui revient."
Sylvain N’Guessan, analyste politique, imagine bien qu’Alassane Ouattara a "quatre présidentiables sous la main". Mais ces derniers ne partiraient pas favoris au regard de la "carrure et de la montée en puissance" de Tidjane Thiam, le président du PDCI. Sylvain N’guessan rappelle aussi le cas de Laurent Gbagbo "un peu plus complexe" "qui n’a pas encore son nom sur la liste électorale". La conclusion de Sylvain N’Guessan : le RHDP qui n’a pas envie de perdre le pouvoir pour diverses raisons est obligé de recourir à celui qu’ils appellent leur candidat naturel, celui qui est capable de faire à l’adversité du PDCI et du PPA-CI.
Des successeurs potentiels dans l’ombre
En briguant un troisième mandat en 2020, Alassane Ouattara estimait avoir fait un sacrifice alors que son dauphin et candidat, Amadou Gon Coulibaly, était brusquement décédé. Quelques mois après, en mars 2021, mourrait celui que certains observateurs voyaient comme le nouveau dauphin d’Alassane Ouattara : Ahmed Bakayoko.
Il y aurait certes des successeurs potentiels actuellement, comme le rappelle Arthur Banga. Mais l'analyste politique Sylvain N'Guessan n'écarte pas une candidature d'Alassane Ouattara.
"De toutes les façons, toutes ces manifestations qui sont suscitées, on ne peut pas me dire qu’Alassane Ouattara n’est pas informé. Dans le contexte actuel où aucune tête du RHDP ne semble vraiment se lever, je pense qu’Alassane Ouattara sera le candidat du RHDP."
La réunion lundi du parti présidentiel survient après l’investiture de Laurent Gbagbo par son parti, le PPA-CI, comme candidat à la présidentielle, bien que celui-ci soit pour l’instant inéligible.
De son côté, Tidjane Thiam, du parti d’opposition le PDCI, peaufine sa stratégie pour se présenter.
"Le poids de l’âge, la volonté de faire autre chose et, par-dessus tout, l’environnement qui est plus à l’alternance, au changement pourraient peser dans la balance" de la décision d’Alassane Ouattara de ne pas se présenter, estime Arthur Banga. "Même si la tendance est à une candidature d’Alassane Ouattara, ce n’est pas encore acté tant qu’il ne s’est pas exprimé."
L'Afrique de l'Ouest est en crise
Alassane Ouattara, qui totalise bientôt quinze ans au pouvoir, pourrait donc en briguer un nouveau s’il accepte la décision de son parti. Dans ce cas, il irait donc encore plus au-delà de deux mandats, et ceci dans une sous-région confrontée à une lassitude des populations face à des responsables politiques qui ne respectent pas le jeu démocratique.
Pour Gilles Yabi, du cercle de réflexion Wathi, les dirigeants du Togo et de la Côte d’Ivoire sont "dans une dynamique de conservation du pouvoir et ne tirent pas la leçon des putschs tout autour d’eux".
"Dans le cas spécifique de la Côte d’Ivoire, il est très clair que tout cela ne fait que créer à nouveau une situation de tension, de crispation, poursuit Gilles Yabi. Mais la crainte bien sûr ce sera d’avoir des conditions de l’élection qui ne seraient pas transparentes. Ce serait alors à nouveau une cause de tension dans une région ouest-africaine qui n’en a absolument pas besoin, avec déjà énormément d’incertitudes politiques et sécuritaires."
Tout va dépendre maintenant de la décision que prendra le président Alassane Ouattara. Ses partisans estiment qu’il a le droit de briguer un deuxième mandat. L’adoption de la nouvelle Constitution en 2016 ayant remis, soutiennent-ils, les "compteurs à zéro". Ce que contestent ses opposants qui avaient déjà jugé anticonstitutionnel le mandat en cours.