Côte d’Ivoire : à Dabou, la peur et la méfiance
27 octobre 2020Les rues de Dabou sont encore désertes. Les boutiques et les commerces sont fermés. Les forces de l’ordre sont postées aux différents endroits névralgiques de la ville.
A deux kilomètres et demi de Dabou, après avoir suivi une route non bitumée, nous arrivons dans le village de Kpass, situé sur une colline. C’est ici que tout a commencé le 19 octobre dernier.
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Les populations s’interrogent
Les affrontements intercommunautaires entre Adjoukrous (population locale) et Malinkés (commerçants) à Dabou, à 50 kilomètres d'Abidjan, ont fait la semaine dernière 16 morts et 67 blessés, selon les autorités.
Ces heurts sont les plus violents depuis le début de la contestation contre un troisième mandat d’Alassane Ouattara. Si la situation s’est apaisée, la peur et la méfiance persistent à Dabou et dans ses environs.
Une semaine après les tueries, Séraphin Gbari, le chef du village de Kpass, s’interroge encore sur les raisons de cette flambée de violence."Jusqu’à présent, nous restons un peu dans le flou de ce qu’il s’est réellement passé. Pourquoi c’est Kpass particulièrement ? Pourquoi ? Qu’est-ce qu’on a fait ? Et avec qui ? Est-ce qu’on a eu des démêlés, des problèmes pour que cela créé un conflit et qu’on nous montre du doigt ?", se demande le chef du village.
Ce sont des jeunes méfiants et aux aguets qui sécurisent Kpass. Chef adjoint du village, Célestin Aké Amari dresse le bilan des affrontements de la semaine dernière.
"Ils ont eu le temps d’incendier une maison et de détruire une ferme de poulets. Puis d’entrer dans l’école du village, de détruire les maisons des enseignants et de tuer l’enfant d’une instructrice.", évalue-t-il.
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Présence des forces de l'ordre
Dans l’école du village, l’heure est au déménagement. Ici, un jeune homme de vingt ans a aussi trouvé la mort.
"Nous faisons nos bagages pour aller dans un autre village. Parce qu’il y a eu des dégâts ici. On ne peut plus rester ici. Ils ont détruit notre maison.", fait savoir un habitant.
On quitte le village de Kpass. Retour à Dabou. Des véhicules des forces de l’ordre circulent sur le corridor nord de la ville. Sur le trottoir, deux jeunes attendent un véhicule de transport pour quitter la ville. L'un d'eux s'appelle Schekinel Esso. Il constate "La peur par ci, l’inquiétude par-là, les massacres et les tueries, les viols… Donc les parents ont décidé qu’on doit rentrer au village par sécurité."
Dans le centre-ville, les personnes rencontrées ont toujours peur et refusent de parler aux journalistes. Oumar Koné, qui a suivi de près ces évènements, explique la méfiance des populations. Selon lui, "Tout le quartier est vide. Malgré la présence des forces de l’ordre, nous avons vraiment très peur. On n’arrive plus à dormir."
Lente reprise des activités
Sur notre passage, seul le magasin de Bienvenu situé sur le corridor nord avait ouvert ses portes. Réparateur de pneus, celui-ci a repris son travail mais les gens hésitent encore à sortir.
"C’est un peu timide pour le moment parce que tout le monde n’a pas la paix du cœur. On a encore peur que ça puisse recommencer.", redoute l’artisan.
Dans un lieu de prière non loin de la grande mosquée de Dabou, Oustaz Koné Abou, chef religieux musulman, ainsi que plusieurs imams, sensibilisent des jeunes de leur communauté à la non-violence.
Le guide religieux observe que "Beaucoup ont des femmes adjoukroues. C’est un brassage. Quand je vis dans un endroit, j’appelle les gens à se marier avec les filles de ce pays. Parce que ça évite les conflits. Le mariage est une sorte de fraternisation."
Lorsque nous quittons Dabou, un calme apparent règne dans la ville et ses environs sous le regard des forces de l’ordre, déployées pour empêcher toute nouvelle flambée de violence.