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Depuis 1960, les inégalités se sont réduites au Sénégal

Jean-Michel Bos
3 avril 2020

Le bilan de soixante ans d'indépendance montre un pays où la précarité recule mais où la croissance profite moins à la population que dans certains pays anglophones du continent.

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Monument de la Renaissance africaine à Dakar
Monument de la Renaissance africaine à DakarImage : picture alliance/dpa/N. Bothma

Il n'y aura ni fête ni rassemblement pour marquer cet anniversaire. Le gouvernement sénégalais a expliqué que la célébration de la fête de l'indépendance, samedi 4 avril 2020, serait réduite à "une prise d'armes” dans la cour d'honneur du palais de la République, à Dakar.

Lire aussi → Festivités de l'indépendance réduites au maximum au Sénégal

Le président sénégalais Macky Sall a en effet annoncé le 14 mars une série de mesures face à la progression du Covid-19 qui comprennent l'interdiction des manifestations publiques, la suspension des cours et l'annulation des festivités de l'indépendance. La réouverture des écoles, prévues pour le 6 avril, vient aussi d'être reportée au 4 mai.

Dans ce contexte, il était difficile en effet de célébrer les 60 ans de l'indépendance du Sénégal. Malgré tout, il est important de revenir sur les grandes mutations qu'a connu ce pays depuis 1960.

Un pays stable politiquement

Après avoir été membres de la Fédération de l'Afrique occidentale française (AOF) jusqu'en 1958, le Sénégal et le Soudan français (actuel Mali) se réunissent au sein de la Fédération du Mali. L'accord est signé à Paris le 4 avril 1960, depuis jour officiel de l'indépendance du Sénégal.

La fédération deviendra techniquement indépendante le 20 juin 1960 à la suite du transfert de pouvoir prévu par l'accord du 4 avril. Mais elle n'aura pas un grand avenir puisque le 20 août 1960, le Sénégal s'en retire. 

Le Sénégal est un des pays les plus stables politiquement du continent puisque depuis son indépendance, il a connu trois grandes alternances politiques, toutes pacifiques.

Une population multipliée par cinq

En soixante ans, la population sénégalaise a été multipliée par cinq, passant de 3,3 millions à près de 16 millions aujourd'hui, avec une progression particulièrement marquée dans les années 1990.

La fertilité des femmes s'est abaissée au fil du temps, passant d'une moyenne de sept enfants par femme en 1960 à 4,7 en 2017, soit sensiblement égal à la moyenne en Afrique subsaharienne. Cette hausse de la population, en dépit d'un recul de la fertilité, s'explique par un accroissement de l'espérance de vie qui a fait un bond depuis 1960, passant de 38 à 67 ans, tandis que la mortalité enfantine s'est effondrée.

Infografik Senegal - Lbenserwartung und Kindersterblichkeit

Pauvreté et inégalités en recul relatif

Parallèlement, la pauvreté, selon le critère international (1,90 dollars par jour), a reculé plus vite que dans le reste de l'Afrique subsaharienne mais reste à des niveaux importants puisque cela concerne encore 38% de la population, selon les derniers chiffres de la Banque Mondiale qui datent de 2011.

Il existe un autre outil de mesure de la pauvreté qui se base sur le seuil national de pauvreté et dans ce cas, celle-ci est encore plus dramatique puisqu'elle touche près de la moitié de la population (46,7%), toujours en 2011.

Infografik Senegal - Weniger Arme als der Rest des Kontinents FR

Le Sénégal enregistre par ailleurs de meilleurs résultats qu'une autre puissance économique de l'Afrique de l'ouest, la Côte d'Ivoire, en matière de réduction des inégalités. La part des richesses détenue par la tranche des 10% les plus riches du pays a ainsi perdu plus d'une dizaine de points depuis le début des années 1990. 

En Côte d'Ivoire, en revanche, cette proportion est demeurée plus ou moins identique avec une courbe qui piétine depuis une trentaine d'années : la part des 10% les plus riches possède environ un tiers des richesses du pays.

Infografik Senegal - Die Ungleichheit ist seit 1990 zurückgegangen

La croissance du Produit intérieur brut (PIB) sénégalais est dynamique depuis plusieurs années. Après avoir enregistré des ralentissements en 2011 et 2013, la croissance connaît des taux importants qui varient autour de 6 et 7%. Cette progression devrait se maintenir avec notamment le démarrage de la production de pétrole et de gaz, prévue en 2022.

Selon la Banque mondiale, trois secteurs en particulier tirent la croissance au Sénégal : "l'agriculture, boostée par des programmes de soutien, la demande extérieure, robuste, et les grands investissements d'infrastructure entrepris dans le cadre du Plan Sénégal émergent (PSE).”

Mais comme aime le dire l'économiste sénégalais Ndongo Samba Sylla, "la croissance c'est du bruit”. Ce qui compte pour lui, c'est avant tout la richesse par habitant.

Or, de ce point de vue, le Sénégal se place dans une position intermédiaire. S'il surclasse des pays francophones voisins comme la Guinée et le Mali, son modèle de distribution de la croissance à la population souffre en revanche de la comparaison avec un pays anglophone comme le Ghana.

En effet, le Ghana a fini par devancer le Sénégal en 2008 et depuis, l'écart entre les deux pays ne cesse de se creuser.

Infografik Senegal - Reiche pro Einwohnerzahl

Le développement passe par l'éducation

La situation sanitaire et sociale de la population sénégalaise s'est donc améliorée depuis 1960 et la réduction de la pauvreté devrait se poursuivre.

Aujourd'hui, près de 70% des naissances sont réalisées sous assistance médicale, le nombre d'adolescentes (15 à 19 ans) enceintes s'est considérablement réduit en soixante ans et la place de la femme dans la société s'est renforcée.

Pourtant, les lourdeurs culturelles persistent : encore 8% des femmes de 20 à 24 ans ont été mariées à l'âge de quinze ans et plus d'un tiers des Sénégalaises continuent de penser qu'un homme a le droit de battre sa femme si celle-ci refuse d'avoir des rapports sexuels avec lui.

Enfin, il y a l'éducation et, sur ce point, le cas du Sénégal n'est pas un exemple. Certes, la situation s'est améliorée depuis 1960 comme dans l'ensemble des pays du continent. Mais les comparaisons avec le reste de l'Afrique ne sont pas à l'avantage du Sénégal. 

En effet, alors que le taux d'inscription aux études primaires est proche de 100% en Afrique subsaharienne, ce taux n'est que de 80% au Sénégal en 2018, en recul même de cinq points par rapport à 2017. Quant à l'inscription aux études secondaires, elle connait une sévère baisse depuis 2015.

Infografik Senegal - Bildung in der Schule

Dans son rapport 2018 sur le Sénégal, Amnesty International rappelait aussi que la question des talibés, les enfants mendiants des rues, n'avait pas été réglée. "Sur les 1.500 enfants arrachés à la rue entre juillet 2016 et mars 2017, plus d'un millier étaient retournés dans leur internat coranique traditionnel”, affirme Amnesty International.

Les talibés avaient été retirés des rues par le gouvernement sénégalais qui souhaitait les "protéger de la mendicité forcée et d'autres mauvais traitements infligés par les enseignants coraniques. La plupart de ces établissements n'ont fait l'objet d'aucun contrôle officiel et de nombreux enfants ont été renvoyés de force dans la rue pour y mendier”, poursuit le rapport de l'ONG de défense des droits humains.

Tous ces facteurs dressent le portrait d'un pays engagé depuis soixante ans dans une marche qui assure à sa population le privilège de vivre plus vieux, en meilleure santé et dans une société à la fois mieux éduquée et moins inégale. 

A ceci s'ajoute une urbanisation croissante puisque si, en 1960, moins d'un quart (23%) de la population sénégalaise vivait dans une ville, cette proportion a été doublée pour atteindre près de la moitié (47,2%) en 2018.

De ce point de vue, le confort quotidien s'améliore lentement avec un accès encore imparfait à l'électricité. En revanche, le taux de pénétration de la téléphonie mobile a explosé en une vingtaine d'années. Mais il s'agit là d'un phénomène commun à l'ensemble de l'Afrique.

Infografik Senegal - Mehr Handys als Elektrische Anschlüsse
DW Mitarbeiterporträt Jean-Michel Bos
Jean-Michel Bos Journaliste au programme francophone de la DW.JMBos