"En demandant l’asile, je ne voulais pas ruiner ma vie"
11 mai 2021"Bonjour, je m'appelle Maher. J'étais journaliste avant d’arriver en Allemagne". C’est par ces mots que Maher contacte en août 2020 la rédaction d’InfoMigrants pour la première fois. L’homme, qui préfère que seul son prénom soit publié, explique avoir dû fuir l’Irak alors qu'il "faisait des reportages pour les chaînes de l'opposition pendant les manifestations" dans le pays, en 2013. Il raconte que des "milices soutenues par l’Iran" le menaçaient.
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Photos, carte de presse et divers documents à l’appui pour étayer son histoire, l’Irakien souhaitait, à l’époque, dénoncer ses conditions de vie et sa lassitude face aux bagarres, à la "musique trop forte" ou encore la consommation d’alcool et de "toutes sortes de drogues" dans son centre d’accueil en Rhénanie-du-Nord-Westphalie.
Selon lui, ces comportements seraient la règle dans les centres en Allemagne. À cette époque, il menaçait déjà de se mettre en grève de la faim afin de réclamer une nouvelle chambre.
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Installation en Turquie
Depuis aout 2020, Maher ne s’était plus manifesté. Jusqu’à récemment. Dans un nouveau message, il explique s’être mis en grève de la faim le 17 mars. L’Irakien affirme boire de l'eau, du coca, du thé et manger un peu de yaourt, mais refuse désormais de manger quoi que ce soit d'autre de solide à la cantine de son centre d’accueil de Hamm, près de Dortmund, où il est hébergé avec sa famille.
L'histoire de Maher est compliquée. Il affirme avoir fui l'Irak en 2013 avant d’obtenir le statut de réfugié en Jordanie via le Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR). De là, il se voit proposer un poste en Turquie à la télévision publique turque TRT. Il accepte et s’installe avec sa famille en Turquie. Ses enfants apprennent le turc et vont à l'école. Selon Maher, à ce moment là, tout allait bien. Sa famille était heureuse et son travail suffisait pour subvenir à leurs besoins.
Mais fin 2019, la TRT met fin à son contrat. Maher affirme que la chaîne n’avait pas apprécié qu’il participe à un reportage de la BBC sur la chute de la monnaie turque.
Désormais sans emploi, il se retrouve obligé de quitter la Turquie avec sa famille. Maher dispose encore d’un visa de six mois pour l’Allemagne, où il venait de participer à une conférence à Hambourg. Aussitôt, il rassemble les documents pour déposer des demandes de visa pour sa femme et ses enfants. Dans la hâte, raconte-t-il, il confond les formulaires au moment de les imprimer et dépose des demandes non pas pour l’Allemagne, mais pour la France.
"Un enfer"
La famille arrive en Allemagne le 1er janvier 2020. Malgré les visas français, les autorités assurent que la demande d’asile de la famille doit être traitée en Allemagne.
"Et depuis, écrit Maher, nous vivons littéralement un enfer." Comme recommandé, la famille dépose sa demande d’asile en Allemagne. Mais six mois plus tard, alors que le dossier n’avance pas, l’administration allemande revoit sa copie et décide de les expulser vers la France. La famille est déposée à Strasbourg, où, nouveau retournement de situation, les autorités françaises refusent de prendre le dossier en charge au nom du règlement de Dublin.
"Nous avons littéralement vécu dans la rue pendant plusieurs jours", se souvient Maher. Rapidement, la famille n'a plus un sou en poche. Maher finit par vendre son appareil photo et les smartphones de ses filles au marché noir pour payer un logement dans une auberge.
Dans l’impasse, la famille décide de se séparer. Alors que Maher retourne en Allemagne pour relancer sa demande d’asile, sa femme et ses filles restent en France et partent habiter chez des proches. "Elles étaient fatiguées, raconte Maher. Elles ne pouvaient plus supporter un autre séjour dans un centre d’accueil."
Cette séparation va durer quelques mois, avant que toute la famille ne soit à nouveau réunie en Allemagne, afin de faciliter le traitement de leur demande d’asile.
Des enfants en dépression
Aujourd’hui, cela fait 16 mois que Maher attend une décision à sa demande d’asile. Il fait part de sa frustration : "Je n'ai pas le droit de travailler, d'étudier, de m'inscrire à un cours d'intégration, d'acheter une carte SIM, de me prendre un abonnement Internet, ni même de me déplacer dans la région." Il qualifie ainsi le centre dans lequel il vit de lieu de "détention".
Maher a quatre filles, âgées de 17, 16, 11 et 5 ans, lesquelles, selon lui, "souffrent toutes d'une grave dépression" et n'ont pas eu accès à l'école depuis deux ans. En attendant, elles apprennent la langue allemande sur leurs smartphones. "C’est comme vivre dans une prison pour un crime qu’elles n'ont pas commis", estime Maher.
Mi-mars, Maher s’est dit prêt à faire participer toute sa famille à sa grève de la faim pour forcer les autorités à agir. L'élément déclencheur, selon lui, a été que les autorités n’ont pas tenu leur promesse de transférer sa famille dans un logement plus adapté. Ce déménagement, malgré un test au coronavirus négatif, a été annulé au dernier moment sans explication.
L’Irakien continue donc à être condamné à une attente qui s’éternise. Il n'a toujours pas de date pour une audience avec les autorités d’asile ou pour un transfert vers un lieu où ses enfants seraient enfin autorisés à aller à l'école.
"Lorsque j'ai demandé l'asile, j'ai signé pour être protégé ! Je n'ai pas signé pour ruiner ma propre vie et celle de ma famille", écrit-il. "Nous avons aussi des droits. Nous avons des projets, des rêves, des ambitions et des sentiments." Maher assure avoir dû refuser de nombreuses offres d’emploi l'année dernière à cause de son statut.