Une prime pour rester en Afghanistan
24 août 2021Comment continuer à venir en aide à 35 millions d'Afghans dans le besoin, sans pour autant mettre en danger les travailleurs humanitaires ? Quel statut accorder aux personnels locaux qui travaillent avec des structures allemandes mais sont de nationalité afghane ? Ces questions se posent depuis le retour au pouvoir des talibans. Et avec d'autant plus d'acuité que la GIZ, l'organisme public de la coopération allemande, aurait proposé des primes à ses employés afghans pour qu'ils restent sur place, en dépit du danger.
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Un an de salaire pour les volontaires
Les critiques formulées à l'encontre de la GIZ (Société allemande pour la coopération internationale) sont vives. Elle aurait proposé à ses employés afghans sur place de toucher un acompte équivalent à an de salaire s'ils acceptaient de rester dans le pays, même sans activité.
En échange de l'argent, les employés devaient s'engager à renoncer à profiter du programme d'évacuation vers l'Allemagne.
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L'information, révélée par l'hebdomadaire allemand Der Spiegel, a été confirmée par le ministère de la Coopération dont dépend la GIZ. Un porte-parole du ministère a précisé à l'agence dpa que "si la situation sécuritaire était amenée à évoluer, [les personnels concernés] pouvaient [changer d'avis et] s'inscrire sur la liste des évacuations".
Un marché "repoussant", a tweeté une élue du FDP, "méprisant", renchérit un autre membre du parti libéral.
"C'est vraiment répugnant", écrit également une responsable du parti écologiste.
Sur DW TV, Janine Wissler, la cheffe du parti de gauche Die Linke critique elle aussi les décisions du gouvernement allemand. "C'est honteux [...de rapatrier] 65.000 litres de bières vers l'Allemagne, mais pas les gens qui ont travaillé pour la Bundeswehr ou d'autres institutions allemandes, ni les militants des droits humains ou les militantes pour les droits des femmes qu'on abandonne à leur sort", ironise-t-elle.
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1.800 Afghans ont travaillé avec l'Allemagne
En tout, 1.800 Afghans environ travaillaient avec des structures allemandes. Parmi eux, environ 700 sont employés par des ONG. Mais quand les talibans ont repris le pouvoir, l'Allemagne a suspendu ses 375 millions d'aide d'Etat à l'Afghanistan, qui était le premier pays bénéficiaire de l'aide allemande.
S'y ajoutent 75 millions de projets civils également stoppés, et les entreprises allemandes se retirent elles aussi à cause de l'insécurité.
Dans une lettre ouverte, d'anciens employés allemands de la GIZ demandent aux autorités allemandes d'évacuer tout le personnel afghan qui a collaboré avec eux, jusqu'aux chauffeurs ou aux traducteurs, y compris ceux dont le contrat remonte à plus de deux ans.
"La sécurité, priorité absolue"
En réponse aux critiques, Gerd Müller, le ministre de la Coopération, affirme dans une interview à un journal bavarois (Augsburger Allgemeine) ce mardi (24.08.2021) ne pas faire confiance aux assurances données par les talibans et que la sécurité du personnel local est une "priorité absolue" pour son ministère qui suit la situation heure par heure :
"Notre personnel afghan a besoin de notre protection et nous travaillons à plusieurs niveaux pour lui permettre d'avoir une alternative pour évacuer le pays par avion".
Pour l'instant, le gouvernement allemand ne voit pas de possibilité de continuer la coopération avec les talibans mais il continuera à soutenir les agences de l'Onu comme le HCR ou l'Unicef qui restent, elles, sur place pour répondre aux urgences humanitaires.
Ceux qui restent sur place
Les Nations uniesont indiqué qu'elles continueraient de prodiguer de l'aide à la population afghane mais l'Onu "demande aux talibans de tenir leurs promesses" en matière de droits humains.
Plusieurs ONG allemandes, comme Misereor, Caritas (le Secours catholique) ou la Welthungerhilfe (agro-action allemande), veulent continuer voire étendre leur action sur le terrain, avec essentiellement du personnel afghan, notamment dans le domaine de l'éducation des filles.
Près de 60% du budget annuel de l'Etat afghan provenait de l'aide étrangère.