Rokia Traoré, la star malienne, faisait récemment partie des têtes d’affiches de la 9è édition du Togoville Jazz festival. Elle en a profité pour présenter son nouveau projet "Fifty-Fifty" aux mélomanes togolais. C’était sa première apparition sur scène en-dehors de Bamako depuis presque quatre ans.
Rokia Traoré revient aussi sur le conflit l'opposant à son ancien compagnon, Jan Goossens, qui l’a éloignée de la scène. Elle parle de sa carrière, de ses nouveaux projets musicaux et aussi du contexte politique dans son pays, le Mali.
Interview avec Rokia Traoré
DW : Rokia Traoré, à la 9è édition du Togoville Jazz Festival, vous sembliez contente de retrouver la scène...
Quatre ans sans me produire à l'international ! C'est vrai qu'il y a un côté agréable à ça. On se sent en mission. Être dans son métier, l'exercer. Et c'est vrai que la scène est un côté de mon métier que j'avais laissé de côté ces dernières années, En tout cas à l'international.
DW : Pourquoi est-il important de transmettre, de léguer à la nouvelle génération ?
Sinon, ce ne serait pas intéressant. C'est vrai que là où j'en suis, j'apprends encore énormément mais c'est vrai que j'ai besoin de partir souvent dans des projets où j'enseigne moins. Parce que, quand on travaille avec des jeunes artistes, des jeunes techniciens, on est en permanence en train de faire des remarques. Donc je suis moins concentrée moi-même sur ce que je dois faire, sur mes propres imperfections. Il y en a tout le temps.
Donc à la fois c'est très intéressant mais c’est aussi très important que par moment je parte dans des projets où je suis simplement lead, où je n'ai pas à créer, guider, etc. Mais c'est avec un grand plaisir que depuis quinze ans environ, la majeure partie de mon temps professionnel, je la passe en projets avec des jeunes Africains.
DW : Cette question viendra forcément. : il y a quatre ans, cet incident [Rokia Traoré a été arrêtée en France suite à un différend avec son ancien compagnon sur la garde de leur enfant]. Vous semblez bien armée aujourd'hui ?
Le dégât psychologique a été énorme, parce que vous savez, quand vous vous retrouvez calomniée, c'est tout ce en quoi je croyais qui est tombé. J'ai deux enfants qui sont là, qui comptent sur moi et dont il faut continuer à s'occuper. Donc voilà, j'ai trouvé des manières de m'accrocher et puis à un moment, j'avais besoin de totalement décrocher avec toutes ces procédures. Reparler de cette histoire, je n'aime pas, je n'aime pas jeter de l'huile sur le feu.
DW : Votre pays, le Mali, vit une crise depuis une dizaine d'années. Quelle peut être la bonne issue pour ce pays que vous aimez tant ?
J'ai toujours écrit ce que je pensais. Je ne peux pas dire que ce pays ne permet pas aux citoyens de s'exprimer. Les dix dernières années, je l'ai fait. Quand le dernier coup d'État a eu lieu, je me suis exprimée ça a d'ailleurs fait mal, ce qui m'étonne parce que certains politiciens m'ont dit : "Tu devrais nous soutenir". Mais moi je leur réponds : "Ce n'est pas un problème de soutien, seulement de dire la vérité : vous avez failli". On est arrivé dans une situation dont le coup d'état est la fin, attendons voir comment ça va continuer. Donc c'est une situation qui a forcément été créée par les leaders politiques et autres qui étaient là avant. Disons-nous la vérité pour pouvoir avancer.
Depuis un certain temps, je m'exprime moins parce que la situation est devenue très électrique.
Je pense qu'à un moment, il ne s'agit pas de dire tout ce qu'on pense ou ce qu'on veut, ou pour pouvoir exister à un moment, il faut savoir se taire pour voir ce qui se passe, donner le temps aux gens de se fourvoyer, se retrouver, comprendre eux-mêmes ce qui se passe, rebondir sur d'autres choses et cela de part et d'autre que ce qu'il s'agisse du Mali ou de la France.
Avec cette rupture qui est très violente parce qu'il s'agissait d'une coopération [entre les deux pays]. Ce sont des liens qui étaient là depuis très longtemps, vu tout ce que nous avons en commun dans l'histoire.
Quand je vois ma propre personne, est-ce que je peux nier et rejeter tout ce que j'ai comme héritage français? Ben non, je ne veux pas. J'ai pas envie parce que ça m'appartient. Ma francophonie, par exemple, la langue française, quand je la parle, je ne pense pas à Macron, je suis désolée, et je ne pense pas non plus à tout ce qui se dit qui ne plaît pas au Mali !
Mon père était professeur des écoles, c'est lui qui m'a appris le français, ce qu'il faut dire, ce qu'il ne faut pas dire etc. Il était très strict. Cette langue, j'ai toujours eu l'impression qu'elle m'appartenait autant que j'appartiens au bambara.
DW : Vous dites qu’avant tout, vous êtes une artiste, tout ce que vous voulez et tout ce que vous aimez, c'est la scène ?
Bien sûr, je suis là. Ça fait deux ans que je suis de retour, que j'ai repris la scène à Bamako, au Blues Faso et j'ai voulu mettre en place ce projet. Il y en a plusieurs, mais celui-là est un joli projet transitoire avec des jeunes musiciens. Donc il nous faut bosser encore… Il faut beaucoup de travail encore et l'idée est de faire des scènes en Afrique pour redémarrer.
Je suis artiste et fière de l'être.