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HistoireAllemagne

Le premier génocide du XXème siècle

La rédaction francophone
24 février 2024

Entre 1904 et 1908, les autorités coloniales allemandes ont commis un génocide sur les peuples héréro et nama. Cette cruauté influence aujourd'hui encore les débats autour de la question foncière, en Namibie.

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Des crânes humains sur une étagère (archive de 2016)
Dans les années 2000, des universités allemandes détenaient toujours des ossements de victimes héréros et namas durant la colonisation allemandeImage : Vacca/Emblema/ROPI/picture alliance

Cet article s'inscrit dans la série "Dans l'ombre de la colonisation allemande" proposée par DW Afrique.

En dix épisodes, un podcast vous accompagne tout au long de l'histoire sombre des colonies allemandes en Afrique, de la fin du XIXè siècle à 1918.

Entre 1904 et 1908, les autorités coloniales allemandes ont commis un génocide sur les peuples héréro et nama, dans l'actuelle Namibie. Cette cruauté a durablement terni la réputation de l'Allemagne.

Dans l‘ombre de la colonisation allemande - Podcast. Ep.04

Le Sud-Ouest africain allemand

Après la délimitation des frontières de la colonie du Sud-Ouest africain allemand, les colons commencent à affluer. Les régions côtières de Lüderitz et Swakopmund sont désertiques. Une fois débarqués, les colons traversent le désert du Namib, avant d'atteindre la région centrale. Les autorités coloniales estiment que cette région est propice à l'élevage.

Elles ont raison. Mais la terre est déjà exploitée par le peuple héréro. Cette société se distingue de toutes celles que les Allemands ont rencontrées jusqu'alors. Les Héréros élèvent eux aussi du bétail, et ils le font bien. Au début, les relations entre les Allemands et les Héréros sont relativement cordiales.

"L'Église, avec une mission rhénane, avait établi de bonnes relations avec les Héréros. Ils vivaient ensemble à Okahandja, Otjimbingwe et Windhoek. Un certain nombre de Héréros se sont même convertis au christianisme." C'est en ces termes que les décrit le chef suprême des Héréros, Mutjinde Katjiua.

"Quand l'administration coloniale allemande est arrivée, elle a conclu ce qu'elle appelait des traités de protection, raconte Mutjinde Katjiua. N'oubliez pas qu'à l'époque, il y avait une certaine animosité entre les Namas et les Héréros."

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Des razzias, des châtiments corporels, des viols

Mutjinde Katjiua poursuit : "Cette situation a conduit les Héréros à conclure des traités de protection avec les Allemands pour que ces derniers les protègent contre les Namas. Les Namas ont également conclu des traités de protection avec les Allemands. Mais ces traités se sont avérés inefficaces. En définitive, ce ne sont pas ces rivalités entre Namas et Héréros qui étaient en cause. Ce sont surtout les abus et la spoliation des terres dont ont été victimes les Héréros qui ont envenimé la situation."

En fait, ceci n'était qu'un des aspects de la question. En 1897, une épidémie de peste bovine décime le bétail. C'est un élément essentiel de la vie sociale et de la richesse des Héréros. En 1903, alors qu'un peu moins de 5 000 Allemands vivaient dans la colonie, ils cherchent de vastes étendues de terres à cultiver.

Selon le professeur Brigitte Reinwald, face à ce constat, les autorités coloniales ont mis en œuvre diverses stratégies pour déposséder les Héréros de leurs terres et de leur bétail, quitte à violer les traités : "L'accaparement illégal de terres, puis les réglementations très restrictives en matière de crédit, en plus des projets de création de ‘réserves' où seraient cantonnées les populations indigènes, voilà les catalyseurs de la guerre", explique-t-elle.

L'affaire Dietrich

Outre la dépossession, les viols et les châtiments corporels des Héréros désormais contraints de travailler sur des terres appartenant aux Allemands, le chef suprême Katjiua évoque un événement qui a fait éclater le conflit :

"L'événement qui a mis le feu aux poudres, c'est le viol de la fille d'un des chefs, Zacharias Berawa, du clan d'Otjimbingwe Omaruru." 

Un commerçant allemand a assassiné la jeune femme après l'avoir violée.

Jugé pour meurtre, il a d'abord été libéré, le tribunal alléguant d'un moment de "folie passagère". Bien qu'un procès ultérieur ait mené à l'emprisonnement de Dietrich, l'affaire a suscité la colère des populations indigènes. Elle a également révélé que les lois n'étaient pas appliquées de la même manière pour les Allemands que pour les autres.

La rébellion des Héréros

Au début de l'année 1904, des guerriers Héréro se rebellent et tuent plus de 100 colons allemands. La rébellion - ou, du point de vue des chefs OvaHéréro, une action militaire pour reprendre le contrôle de leurs terres - a provoqué une onde de choc jusqu'à Berlin.

L'empereur Wilhelm et les dirigeants allemands, furieux, ordonnent d'écraser les rebelles. Le racisme et la croyance que les Noirs étaient inférieurs aux Allemands, soi-disant civilisateurs, attisent cette colère.

Le général Lothar von Trotha prend le commandement du Sud-Ouest africain à la mi-1904, et des milliers de soldats allemands, la "Schutztruppe", ou troupe de protection, affluent dans la colonie.

Von Trotha ne veut pas seulement vaincre les rebelles héréros. Selon ses propres termes, il cherche à les anéantir. Ses soldats bien armés encerclent bientôt les guerriers héréros au Waterberg et neutralisent les combattants héréros.

"Les Allemands, par l'intermédiaire de leur général Lothar von Trotha, ont veillé à employer tous les moyens possibles pour tuer les Héréros. Ils ont commencé par donner l'ordre d'extermination et ils ont fait empoisonner les points d'eau", s'indigne Mutjinde Katjiua.

Illustration de de presse montrant que des crânes de combattants héreros tués sont empaquetés pour être envoyés à l'Institut de médecine légale de Berlin (archive non datée)
La colonisation allemande dans l'actuelle Namibie a fait des dizaines de milliers de mortsImage : akg-images/picture alliance

Une extermination programmée

L'ordre d'extermination décrète que tout Héréro présent sur le territoire allemand sera tué. Les Héréros sont chassés dans le désert de l'Omaheke, qui s'étend jusqu'au Botswana. Les points d'eau y sont très rares.

"Quand les Héréros étaient capturés dans les villages, ils étaient envoyés dans des camps de concentration sur l'île Shark et à Swakopmund. Ce sont donc ces camps de concentration, l'empoisonnement des points d'eau et le refoulement des Héréros dans le désert du Kalahari, où ils sont morts de soif, qui ont entraîné la mort des Héréros."

Les chiffres exacts sont incertains. On estime que jusqu'à 80 000 hommes, femmes et enfants Héréro sont morts. Cela représente 75 % de la population de l'époque. Ils ont été victimes de la soif et de famine, puis des maladies et du travail forcé dans les camps de concentration côtiers de Swakopmund et de Lüderitz.

Entre 10.000 et 20.000 Namas ont aussi péri pendant la période coloniale. À titre de comparaison, les forces allemandes ont perdu moins d'un millier d'hommes.

Quelques-uns, comme le chef Samuel Mahahero, ont pu s'échapper.

Le problème des terres spoliées

Mais les Héréros et les Namas ont été dispersés dans toute l'Afrique australe, et ceux qui sont restés dans la colonie allemande ont été contraints de chercher du travail dans les villes et sur les terres appartenant aux Allemands. Plus de 100 ans plus tard, une grande partie de ces terres sont toujours aux mains des Allemands de Namibie.

"L'appropriation des terres était brutale, confirme Henning Melber, un chercheur germano-namibien. Ces terres étaient ensuite remises par l'administration coloniale à des soldats coloniaux, membres de la troupe dite de protection, ou vendues à très bas prix à des colons allemands."

Henning Melber poursuit : "Les communautés locales se partageaient les terres et il existait parfois des conflits, mais il n'y avait pas de propriété foncière privée. Le colonialisme allemand a donc introduit ces titres de propriété privée. Ceux qui occupent aujourd'hui les terres affirment qu'ils les ont achetées légitimement et qu'ils en sont les propriétaires. Cette approche permet de mettre de côté l'appropriation violente des terres, qui a abouti à ce que nous appelons aujourd'hui un génocide."

La mode contre l'oubli

Besoin de reconnaissance historique

Dans le cadre d'une déclaration conjointe bilatérale conclue en 2021, l'Allemagne a promis 1,1 milliard d'euros au gouvernement namibien sur une période de 30 ans.

Cependant., comme l'explique Henning Melber, "le gouvernement allemand a déclaré qu'il s'agissait d'un génocide selon la perspective actuelle. Juridiquement, c'est une réserve très importante. Cela implique qu'il ne s'agit pas d'un génocide au sens de la convention sur les génocides, selon l'Allemagne. Cette reconnaissance n'a pas d'implications juridiques en ce qui concerne la demande de réparations."

Et surtout, les chefs héréro et nama affirment qu'ils n'ont jamais été ni consultés, ni impliqués dans les négociations.

En janvier 2023, les avocats des communautés nama et héréro demandent que la déclaration conjointe germano-namibienne soit déclarée nulle pour violation de plusieurs articles de la constitution namibienne.

Pour le chef suprême Katjiua, l'Allemagne, en préférant traiter avec le gouvernement namibien et non avec les communautés concernées, ne fait tout simplement pas face à l'histoire, quelles que soient les excuses présentées.

"Voilà pourquoi les Héréros et les Namas continuent de dire que vous avez commis un génocide. Vous devez payer des indemnités réparatoires. Nous devons décider de ce que vous devez payer", exige Katjiua.

A l'avenir

"L'Allemagne a négocié avec 23 groupes liés aux communautés juives à travers le monde. Sans oublier les négociations avec l'État d'Israël. La communauté juive a obtenu ce dont elle avait besoin, ce qu'elle demandait, et l'État d'Israël a obtenu ce qu'il demandait, constate Katjiua. Oui, l'État namibien a subi des dommages collatéraux. Le gouvernement peut négocier à ce sujet. Les Héréros et les Namas ont subi des dommages spécifiques."

En attendant que ce jour arrive, les communautés héréro et nama conservent la mémoire de leurs ancêtres, malgré un siècle d'histoire marqué par le colonialisme, l'occupation sud-africaine, l'apartheid et, finalement, l'indépendance en 1990.

"Les Héréros sont un peuple avec une culture et des traditions riches. En Namibie, toutes les anciennes fermes héréros portent encore des noms héréros. Ces noms font référence au premier Héréro enterré dans cette ferme. De cette manière, tout le monde sait où se trouve sa famille et se souvient de ses racines."