Les migrants retrouvent la route des îles Canaries
6 octobre 2020"On a entendu l'air s'échapper du canot. A ce moment-là tout le monde était ébranlé, la peur au ventre et j'ai eu le sentiment que c’était la fin de ma vie."
Abdul Kamara se souvient ainsi de sa traversée périlleuse et du jour où il est enfin arrivé sur l'île espagnole de Fuerteventura. Le jeune Guinéen a voyagé trois jours en bateau depuis le sud du Maroc.
Abdoul Kamara fait partie des quelque 5.000 migrants africains qui sont arrivés sur les îles Canaries depuis le début de l'année, soit une augmentation de plus de 600% par rapport à 2019.
La dangereuse route atlantique
La route migratoire entre l'Afrique et l'archipel espagnol était pourtant peu empruntée jusqu’alors en raison des dangers.
Pour Bram Frouws, directeur du Centre de recherche sur les migrations mixtes, la résurgence de cette route de l'Atlantique est liée aux effets mondiaux de la pandémie de Covid-19.
"Les conséquences sociales et économiques de la pandémie augmentent le désir et certainement aussi la nécessité de la migration pour de nombreuses personnes. En même temps, cela limite leurs ressources, ils ont moins d'argent pour émigrer et aussi moins de capacité de le faire à cause de toutes les restrictions à la mobilité. Ce sont deux forces opposées et il est un peu difficile de savoir pour l'instant comment ces dynamiques se déroulent", explique Bram Frouws.
Mais les raisons pour lesquelles la pression migratoire s’est réorientée vers une nouvelle route ne sont pas seulement liées à la crise du coronavirus.
Coopération maroco-espagnole
À partir de 2019, les accords entre l'Espagne et le Maroc sur la migration irrégulière ont été consolidés par des financements supplémentaires. Cela s'est traduit par le renforcement des contrôles aux frontières au nord du Maroc.
Les réseaux de passeurs se sont donc organisés, renvoyant les migrants vers les côtes au sud du pays, à la frontière avec le Sahara occidental, moins contrôlé que celles du nord.
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Précurseur d'une nouvelle dynamique migratoire
La situation actuelle est le signe avant-coureur de nouveaux mouvements migratoires vers l'Europe, explique Matt Herbert, chercheur au sein de l'Initiative mondiale contre le crime organisé transnational.
"Les migrants d'Afrique de l'Ouest, d'Afrique centrale et de la Corne de l'Afrique actuellement bloqués dans des pays de transit commencent à arriver en Afrique du Nord. Ils prendront les bateaux. Je pense qu'ils le feront dans les six à douze mois à venir".
Une question de prix
Pour Abdoul Kamara, le "détour" par les îles Canaries avait une raison très pragmatique : il a découvert que les prix des passeurs sur la route de l'Atlantique sont assez bas pour le moment.
Pour environ 800 euros, il est possible d’obtenir une place dans un bateau gonflable. Dans le passé, cette place coûtait parfois plus de 2.000 euros.
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