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"Il faut investir dans les êtres humains" (Maïmouna Ba)

Dirke Köpp
23 octobre 2024

Maïmouna Ba vit à Dori, dans le nord-est du Burkina Faso. Elle a reçu le prix Nansen du HCR pour son action en faveur des femmes et enfants déplacés.

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Aider les enfants déplacés à retourner à l’école et rendre les femmes déplacées financièrement autonomes – c’est comme ça que la jeune Burkinabè Maïmouna Ba aide à Dori, dans l’extrême nord-est du Burkina Faso. Son engagement lui a valu le prix (régional) Nansen que le HCR, l'organisation onusienne pour les réfugiés, donne pour les actions extraordinaires en faveur des réfugiés et déplacés.

Suivez notre entretien avec Maimouna Ba 

 

DW : Madame Maïmouna Ba, vous êtes lauréate régionale du Prix Nansen pour votre engagement pour les enfants et les femmes déplacée. Commençons par les enfants : qu'est-ce que vous avez fait concrètement pour les enfants déplacés internes ?

Nous avons plusieurs types de soutien que nous leur apportons. Nous donnons par exemple des bourses. L'année dernière, on a distribué des bourses pour couvrir les frais d'accueil et des frais pour la récréation, pour avoir un goûter à l'école et des frais pour une tenue scolaire décente et une paire de chaussures.
Et nous organisons un programme qui mobilise des volontaires pour parrainer des enfants qu'on appelle le programme "Un enfant, un parent".
Nous organisons également des sessions de donations ponctuelles où nous collectons du matériel ou bien des vêtements pour les enfants déplacés internes.

Pour ce qui est du programme de parrainage, ce sont des volontaires qui s'engagent à soutenir matériellement, voire psychologiquement, les enfants identifiés sur la base de la vulnérabilité.

Et ça se passe sur toute la durée du cursus de l'enfant.

 

DW : Vous venez de la région du Sahel, dans l'extrême nord-est du Burkina Faso, une région touchée par le djihadisme, où il y a beaucoup de déplacés. Or les populations locales ont-elles-mêmes beaucoup de problèmes. Comment faites-vous pour trouver des gens qui sont prêts à financer la scolarisation d'un enfant étranger ?

La réalité, c'est que soutenir un enfant dans nos zones, ça ne nécessite pas beaucoup de choses.

Les gens ne sont pas informés. Mais par exemple, avec 50 francs suisses ou bien 50 euros, vous pouvez valablement soutenir un enfant sur toute la durée de son année scolaire.

Donc ce n'est pas énorme. Maintenant, au-delà du soutien matériel, ce que l'on privilégie, c'est vraiment le contact humain, le soutien psychologique dont l'enfant peut bénéficier de la part de son parrain.

Parce que quand on est un enfant qui a expérimenté la violence, c'est rassurant et même encourageant de savoir qu'il y a une personne quelque part dans le monde ou même dans notre localité d'accueil qui se soucie de nous, qui prend soin de nous, qui nous écoute et qui a envie qu'on aille bien.

Donc il y a, oui, des volontaires qui sont mobilisés dans la zone aussi, malgré le niveau de vie des populations.

Abdouraouf Gnon-kondé (HCR Burkina Faso) : "Il faut travailler avec les communautés locales"

 

DW : Et les enfants, comment est-ce qu'ils ont réagi ?

C'est une lueur d'espoir qui renaît. Parce que l'avantage, lorsque vous allez sur le terrain pour l'identification des enfants, c'est que vous voyez aussi des enfants qui sont contraints à l'abandon, qui avaient abandonné l'école parce qu’il y a eu le conflit, les déplacements et après, leurs familles ont perdu tous leurs moyens.

Donc naturellement, c'est beaucoup de joie quand ils voient l'équipe de la fondation qui arrive sur le terrain.

Il y a beaucoup d'enthousiasme à l'idée d'aller à l'école.

C'est vraiment un programme qui fait beaucoup de miracles dans la vie des enfants, dans la vie des parents et aussi qui redonne envie à beaucoup d'enfants de continuer à persévérer dans leurs études.

 

DW : Vous-même, vous avez été une des premières filles de votre famille à aller à l'école et vous dites que l'éducation est l'arme la plus puissante pour changer le monde. Est-ce que c'est cette conviction-là qui vous a amenée à aider les enfants ?

Oui, absolument. Et c'est quelque chose qui est indiscutable. L’éducation, c'est le chemin en fait. L’éducation, le savoir, c'est vraiment le chemin.

Parce que, comme je le dis, en fait, la plupart de nos maux naissent de l'ignorance. Et il n'y a pas pire fléau que l'ignorance. Il faut combattre l'ignorance à tous les coups.

Donc moi je m'estime très chanceuse d'avoir eu la chance d'aller à l'école.

Je sais que ma vie en a été changée. Si j'en suis là et que j'ai accès aux plateformes pour parler même de ce que je fais, c'est en quelque sorte parce que j'ai eu la chance d'aller à l'école.

Si vous et moi, nous pouvons communiquer, c'est parce que j'ai eu la chance d'aller à l'école.

Et donc l'école est indispensable pour le XXIᵉ siècle. Elle est un indispensable pour développer le pays, mais aussi pour restaurer la paix.

 

DW : Le travail que vous faites ne doit pas être facile parce que la région dans laquelle vous faites ce travail est une région qui est sous menace djihadiste : il y a des islamistes du JNIM ou de l'Etat islamique qui sont présents. Comment arrivez-vous à travailler malgré cette menace ?

Alors actuellement, ce qui rend les choses très difficiles, c'est vraiment l'accès à la zone qui est devenu très difficile parce que la région du Sahel est complètement coupée du reste du Burkina. Donc il y a les vols humanitaires qui arrivent à y aller. 
Pour dire la vérité, c'est que les choses sont vraiment compliquées.

Et donc, quand je vais à Ouagadougou, je dois attendre une opportunité pour retourner à Dori. Il y a des convois qui partent et, périodiquement, c'est possible pour les civils de suivre ces convois aussi. 

L'accès vraiment est une grande préoccupation. C'est difficile d'intervenir dans notre zone actuellement et c'est là qu'il y a le plus de besoins. Et si on ne peut pas intervenir là-bas, c'est dommage, on aura échoué en tant qu'humanitaires.

 

DW: Vous semblez avoir une fibre poétique. J'ai lu une citation de vous : "Lorsqu'un œuf se casse de l'extérieur, la vie s'arrête. Mais lorsqu'il se casse de l'intérieur, la vie commence". Vous avez comparé cela à la situation dans le Sahel et vous avez déclaré que l'amélioration de la situation dans le Sahel devait aussi venir de l'intérieur. Et c'est ce que vous vous faites. Comment est-ce que vous vous faites pour convaincre les gens justement de lutter pacifiquement pour l'avenir du Sahel, pour le développement du Sahel, de convaincre les jeunes qui ont peut-être envie de rejoindre des groupes armés ?

J'essaie de servir d'exemple. J'essaie d'être là, de me tenir avec les gens. Et lorsque les gens ne font pas les choses, je les fais parce que j'adore servir par l'exemple.

Une autre chose aussi, c'est qu’il ne faut pas se leurrer, ce n'est pas comme si j'arrivais à mobiliser des milliers ou des centaines de volontaires derrière moi !

L'engagement militant des jeunes du Sahel est toujours un défi et c'est pourquoi ça fait partie de mes objectifs de de faire bénéficier les jeunes du Sahel du programme de leadership, comme celui dont moi j'ai bénéficié pour qu'ils soient ouverts à l'engagement et qu'ils réalisent que la clé du changement réside dans leurs mains.

 

DW : Parlons aussi des femmes. Parce que donc, à part votre engagement pour les enfants, vous êtes engagée aussi pour l'autonomie financière des femmes. Vous avez créé une association qui s'appelle "Femmes pour la dignité du Sahel". Qu'est-ce qu'on doit faire pour rendre une femme financièrement autonome, indépendante ?

Il y a beaucoup de choses qu'on peut faire, non ? Par exemple, nous, on a collecté de l'argent. Et puis chez nous, il y a une technique de relèvement économique qu'on appelle Haɓɓanaaji.

En fait, avant, nos grands-parents faisaient ça : lorsqu'une personne traversait une période de crise, quand elle perdait tout son troupeau et tout, on lui offrait une vache qu'on appelait vache à lait. Et donc, en fait, il devait garder la vache jusqu'à ce qu'elle mette bas. Et lorsque le petit était autonome pour vivre de lui-même, lui aussi, il passait la vache à une autre personne.

Donc on a collecté de l'argent en 2021 et puis on a fait ça avec des chèvres pour les femmes déplacées internes.

On peut renforcer leurs capacités, par exemple leur apprendre à fabriquer du savon pour, qu'elles aient quelque chose qu'elles peuvent monnayer pour gagner de l'argent et prendre soin d'elles-mêmes.

 

DW : Il faut juste faire attention que toutes les femmes n'aient pas la même petite activité. Si toutes les femmes font du savon, personne ne va plus en acheter. Donc vous variez aussi les activités, j'imagine.

Oui, absolument. Nous varions les activités, nous allons dans le domaine de la pâtisserie et il y a aussi d'autres femmes qu'on a renforcées dans leur savoir-faire, comme le perlage, la broderie à la main et la vannerie. Et voilà, on varie naturellement les initiatives pour l'autonomisation de ces femmes.

 

DW : La situation dans le Sahel est difficile ; on en a déjà parlé. Peut-on dire que le Sahel brûle et que le monde regarde ailleurs ? Qu'est-ce que vous attendez de la soi-disant communauté internationale ?

Ce que j'attends déjà, c'est que la communauté internationale commence à revoir son paradigme.

Lorsque vous avez beaucoup d'eau à donner au Sahel parce que c'est une zone aride, il faut aussi penser qu'il est important que le Sahel ait de la ressource humaine.
Et si nos Etats en sont toujours là après toutes ces années d'indépendance, c'est que quelque part, il y a beaucoup de choses qui n'ont pas marché.
Il faut oser redéfinir le paradigme d'aide. Est ce qu'on investit dans les êtres humains ou bien est ce qu'on investit dans des institutions ? Tout ça est la décision de la communauté internationale.

Mais moi je pense qu'investir dans les êtres humains, c'est vraiment la clé pour parvenir à moyen ou à long terme à sortir de toutes ces crises politiques que nous connaissons.