Proche-Orient en 2023: la guerre au lieu de la normalisation
29 décembre 2023La guerre ouverte entre Israël et le Hamas, en cours depuis le début du mois d'octobre, a modifié durablement le paysage politique du Proche-Orient. Le conflit a par exemple gelé le rapprochement qui avait été entamé entre plusieurs Etats arabes et l'Etat hébreu.
Amorce de normalisation depuis 2020
Ces dernières années, de nombreux dirigeants arabes donnaient l'impression d'avoir occulté les Palestiniens et leur lutte pour obtenir un Etat indépendant reconnu. La solidarité envers la bande de Gaza et la Cisjordanie occupée semblait s'être émoussée.
C'est ainsi qu'à partir de 2020, les Emirats arabes unis, le Bahreïn, le Maroc ou encore le Soudan ont amorcé un rapprochement avec Israël en signant les accords d'Abraham, censé normaliser leurs relations avec l'Etat hébreu.
Mais les attaques du 7 octobre 2023, perpétrées par les terroristes du Hamas sur le sol israélien, ont marqué un point d'arrêt à ce dégel diplomatique.
Peu après le début des hostilités, de plus en plus d'Etats arabes ont affiché leur solidarité avec les Gazaouis. Aiman Safadi, le chef de la diplomatie jordanienne, par exemple, a qualifié d'"agression flagrante" des civils de la bande de Gaza qui risquait de déstabiliser tout le Proche-Orient. Le ministre a aussi évoqué "des crimes de guerre" commis par Israël qui bloque l'acheminement de nourriture, de médicaments et de carburant dans le territoire palestinien.
La peur de l'Egypte et de la Jordanie
L'attaque du Hamas début octobre a ainsi replacé la cause palestinienne en tête de l'agenda régional et international. Et relancé les discussions sur la façon de régler un conflit qui dure depuis plus de 70 ans au Proche-Orient.
André Bank, spécialiste de la région à l'Institut GIGA de Hambourg, explique que l'Egypte et la Jordanie notamment, frontalières d'Israël et des territoires palestiniens craignent les répercussions de la guerre sur leur territoire.
"En Egypte par exemple, déclare le chercheur, il y a une interdiction claire de manifester sur la place Tahrir en plein cœur du Caire, car le président al-Sissi et son régime craignent que les manifestations pro-palestiniennes ne se transforment en protestations politiques comparables au printemps arabe. En Jordanie, les manifestations peuvent avoir lieu dans certaines parties d'Amman, dans la capitale, mais pas à la frontière du fleuve Jourdain".
Des intérêts plus forts que l'opinion publique
Plusieurs chercheurs spécialistes du Proche- et du Moyen-Orient, estiment que les intérêts économiques et géostratégiques des Etats de la région priment.
Johannes Becke, de l'Université d'Etudes juives à Heidelberg,en Allemagne, pense ainsi que les discours de certains gouvernements arabes vont certes dans le sens de leurs opinions publiques, largement hostiles au gouvernement israélien, mais qu'en réalité, ils ne sont pas pour autant prêts à intervenir : "Pour l'instant, j'ai l'impression que le dernier grand sommet des Etats arabes et musulmans a surtout produit de la rhétorique. Et plus précisément la rhétorique habituelle et attendue, à savoir que c'est justement le président syrien qui devient expert en droit international humanitaire. Ce sont des déclarations attendues qui n'ont pas encore conduit à une détérioration substantielle des relations avec Israël".
Israël demeure un partenaire attrayant pour les Etats du Golfe en termes de technologie et d'échanges économiques. Une bonne relation avec l'Etat d'Israël leur permet aussi d'entretenir celle avec les Etats-Unis et les pays occidentaux qui ne souhaitent pas voir augmenter l'influence de l'Iran dans la région.
Par ailleurs, l'Iran soutient les rebelles Houthis au Yémen, qui se battent contre l'armée saoudienne. Alors l'Arabie saoudite a intercepté début décembre des missiles du Hamas, soutenu aussi par l'Iran, dirigés vers Israël.
Comment relancer les négociations de paix
Peu de manifestations ont eu lieu en revanche dans les Etats du Golfe. La plupart des dirigeants du Hamas vivent certes au Qatar mais l'émirat considère sa relation avec l'Etat hébreu avec pragmatisme. Pas question de mettre de l'huile sur le feu et le Qatar tente d'opérer une médiation pour sortir du conflit et relancer "la solution à deux Etats".
Toutefois, les destructions engendrées par la guerre, le nombre croissant de victimes, l'absence d'interlocuteur fiable côté palestinien sont autant de facteurs qui compliquent la reprise des négociations de paix et, a fortiori, celles sur la création d'un Etat de Palestine.
Mais selon André Bank, "le deuxième problème, presque plus grand encore, c'est bien sûr le gouvernement israélien : qui, de son côté, serait vraiment prêt à entamer un tel processus ? Car l'une des choses contre lesquelles Netanyahu a travaillé dans les différents gouvernements depuis la fin des années 90 est précisément la mise en œuvre d'une solution à deux États. Et cela est bien sûr très, très étroitement lié à la construction de colonies en Cisjordanie, qui s'est massivement développée au cours de la dernière décennie, et plus récemment encore sous le gouvernement actuel."
Or ceci nécessiterait, selon André Bank, non seulement l'arrêt de la construction de colonies en Cisjordanie, mais aussi le démantèlement d'une grande partie des colonies existantes. Un sujet délicat sur le plan de la politique intérieure israélienne, qui toucherait une partie de l'électorat des dirigeants actuels. Et le chercheur de conclure : "Je trouve cela très, très difficile à imaginer".