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Réactions à la reprise des enquêtes de la CPI en RDC

15 octobre 2024

Le bureau du procureur de la Cour pénale internationale va enquêter sur les crimes commis en RDC depuis le 1er janvier 2022. Explications et réactions en République démocratique du Congo.

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Une femme et des enfants devant les ruines de leur maison détruite, à Boga, dans le Nord-Kivu (archive de 2021)
Une femme et des enfants devant les ruines de leur maison détruite, à Boga, dans le Nord-KivuImage : Alexis Huguet/AFP/Getty Images

La Cour pénale internationale a annoncé hier [14.10.24] qu'elle reprenait ses enquêtes sur les crimes perpétrés dans l'est de la République démocratique du Congo. La CPI va notamment se pencher sur les exactions commises dans la province du Nord-Kivu depuis janvier 2022.

Les autorités congolaises déclarent se réjouir de la nouvelle et être prêtes à coopérer. La société civile congolaise approuve mais reste dubitative.

Le procureur de la CPI, Karim Khan, lors d'une audience (archive de 2022)
Le bureau du procureur de la CPI va reprendre ses enquêtes dans le Nord-KivuImage : Peter Dejong/AP Photo/picture alliance

L'annonce du procureur Karim Khan

Ce sont en fait plusieurs annonces en une qu'a faites le procureur de la CPI, Karim Khan.

D'abord, effectivement, la reprise d'enquêtes à la demande des autorités congolaises.

Ces enquêtes porteront sur tous les crimes présumés relevant du Statut de Rome, commis sur l'ensemble du territoire congolais depuis le 1er janvier 2022. Cela correspond à la date de début du Statut de Rome en RDC, puisque, pour rappel, la CPI ne peut enquêter que sur des crimes commis après l'entrée en vigueur de ce statut.

C'est ce qu'explique par écrit le Bureau du procureur de la CPI à la DW :

"L'enquête du Bureau du Procureur sur la situation en RDC, qui a été ouverte en juin 2004 à la suite d'un renvoi de la RDC en mars de la même année, se poursuit. Le renvoi de mars 2004 portait sur des crimes présumés relevant du Statut de Rome commis sur l'ensemble du territoire de la RDC depuis le 1er juillet 2002. Le Bureau a initié  plusieurs procédures dans le cadre de cette enquête et, le 14 octobre 2024,il a été décidé au vu du deuxième renvoi de la RDC, de réactiver les efforts d'enquête sur la situation en RDC, en mettant l'accent en priorité sur les crimes présumés relevant du Statut de Rome commis au Nord-Kivu depuis le 1er janvier 2024."

La compétence de la CPI porte sur quatre types de crimes graves : le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et le crime d'agression.

Par ailleurs, le Bureau du procureur écrit qu'il "se félicite des importants progrès réalisés dans le traitement des cas prioritaires par la justice congolaise. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour accroître l’impact de la justice sur les victimes des crimes graves. Avec des enquêtes réactivées du Bureau et la poursuite des efforts nationaux de lutte contre l’impunité en parfaite collaboration avec les partenaires techniques, le Bureau espère un plus grand impact des actions collectives dans la lutte contre la criminalité en RDC."

Devant la presse, le porte-parole du gouvernement congolais, Patrick Muyaya, affirme que cette relance de la CPI est la preuve de la volonté des autorités congolaises de régler définitivement la guerre qui sévit dans l'est du pays :

"Parce que ce sont des problématiques qui datent depuis trente ans. Elles sont complexes et interliées : il y a les judiciaires, les militaires, les diplomatiques, les médiatiques […] Depuis 2004, nous avons vécu des violences à répétitions. Mais là, avec l'engagement du président de la République, nous allons entamer une phase qui sera déterminante dans la vérité", a t-il estimé.

Les espoirs des habitants du  Nord-Kivu

L' annonce de la CPI est "une très bonne nouvelle" pour Prince Kirisale de la Commission Justice et Paix dans le diocèse de Butembo-Beni, d'autant que la Cour avait jusque-là plutôt axé ses enquêtes sur la province de l'Ituri, pas celle du Nord-Kivu.

"Depuis l'agression de la RDC par des rebelles du M23 par exemple, entre novembre 2022 et mars 2023, il y a eu plusieurs cas de crimes – notamment des fosses communes qui ont été découvertes – des tueries qui n'ont pas fait l'objet d'enquêtes, ni d'actions judiciaires, relève Prince Kirisale. Sans oublier que ces crimes sont à l'origine du déplacement massif de population. Il y a des familles qui ont été désarticulées. Et ces familles, malheureusement, n'ont pas de voix pour porter plainte ou lancer des actions judiciaires."

Au moins, espère-t-il, "les auteurs des crimes pourront être identifiés et les victimes avoir un espoir de justice, ce qui favorisera la paix sociale".

Johnson Ishara Butaragaza est l'ancien président du Parlement des jeunes de la région. Il est désormais le coordonnateur national de la Dynamique génération consciente, la Dygenec-RDC, une organisation qui milite pour le respect des droits humains. Il doute de la capacité de la CPI à faire toute la lumière sur les crimes commis dans sa région.

"Peu importe la forme que ce processus peut prendre, estime-t-il. Est-ce la CPI ou est-ce une cour spéciale ? Nous, nous aimerions que ce soit un tribunal spécial car l'expérience de la CPI est très décevante. Parce qu'on a l'impression que la CPI répond aux vœux de tel ou tel régime, tel ou tel dirigeant en place. Mais la vérité, c'est elle (la justice) qui manque à être rendue."

Des femmes déplacées du Nord-Kivu font la queue avec des enfants pour obtenir de l'aide alimentaire (achive de 2022)
Les violences ont fait de nombreux morts, blessés et déplacés dans l'est de la RDC depuis les années 1990Image : Badru Katumba/AFP/Getty Images

Une histoire qui continue de faire mal

Johnson Ishara Butaragaza cite les cas de Germain Katanga ou Jean-Pierre Bemba,jugés par la CPI puis libérés, sans que des réparations n'aient été versées aux victimes. Il déplore aussi, par exemple, que le Rwanda ou l'Ouganda n'aient pas été inquiétés pour les violences commises dans la région de Kisangani (Tshopo) entre 1996 et 2001. "Rien n'a été fait pour rendre justice à tous ces compatriotes", regrette-il.

Prince Kirisale, de la Commission Justice et Paix dans le diocèse de Butembo-Beni, rappelle aussi que les crimes graves remontent aux années 1990 et 2000.

"Depuis 2004 déjà, au moins sept responsables congolais ont fait l'objet de mandats d'arrêt de la CPI. Et il faut que la CPI réfléchisse davantage aussi à continuer les enquêtes sur les crimes commis avant 2022. Si on prend par exemple les massacres de la population civile par les ADF, ces crimes ont commencé en 2014. Il y a plus de 10.000 morts et plus de 3.000 personnes disparues. Quel sera le sort des familles de ces victimes ?"

Vers une Cour pénale spéciale

Cette fois, les enquêtes de la CPI concerneront  tous les acteurs des conflits en cours. Cela signifie que la Cour devra se pencher sur les différents groupes armés présents dans la région, comme sur les armées régulières qui ont des soldats sur le terrain, y compris la République démocratique du Congo. 

Franck Citende, secrétaire exécutif du Réseau national des ONG des droits de l'Homme en RDC, fait part de son "allégresse" face à ce "pas qui va permettre de faire la lumière sur tous les crimes et leurs auteurs et les voir sévèrement sanctionnés".

D'où l'importance, aux yeux de Chantal Faida, militante des droits humains dans l'Est de la RDC, d'un soutien international à la justice congolaise :

"Que le gouvernement puisse mettre sur pied une justice équitable pour réprimer les auteurs de crimes odieux commis en RDC, mais avec l'appui de la communauté internationale, déclare ainsi Chantal Faida… c'est ainsi que cette Cour pénale spéciale serait une panacée. La seule justice congolaise ne pourra pas donner de réponse idoine à l'immensité des crimes, des infractions qui seront déférés devant cette Cour."

Elle ajoute : 

"La Cour spéciale pour la RDC est la bienvenue. C'est une demande que nous saluons et soutenons. Nous demandons également l'antériorité des crimes de 2003 à 2010,)) nous avons le rapport Mapping [mission d'enquête du Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l'Homme sur les violences et crimes du guerre commis en RDC entre mars 1993 et juin 2003, ndlr] qui, jusqu'à aujourd'hui, n'a pas été sorti des tiroirs pour trouver les auteurs et dire la justice face à ces victimes. Donc, depuis 2003, jusqu'à ce jour, la justice n'a pas dit son dernier mot face aux multiples victimes qui sont en RDC."

Franck Citende souligne lui aussi que le rapport Mapping est "immuable" et qu'il "renseigne abondamment sur tous ces crimes" [commis entre 1993 et 2003]. Ce rapport peut servir de base à quelque juridiction que cela soit, même "au niveau régional ou national", pour que "ces crimes ne restent pas impunis".

Prince Kirisale de la Commission Justice et Paix dans le diocèse de Butembo-Beni, soutient lui aussi l'idée d'une Cour pénale spéciale :

"Si la RDC arrive à éliminer la menace des groupes armés et rebellions qui traversent le Nord-Kivu, il faut réfléchir à créer une justice spéciale, car il n'y aura pas de paix sociale si les auteurs des crimes ne sont pas traduits en justice."

Le bureau du procureur de la CPI a signalé se tenir "prêt à apporter une assistance technique à la RDC pour la création de ce mécanisme" destiné à lutter "contre l'impunité des crimes internationaux".

En application du mémorandum signé en 2023 avec les autorités congolaises, "le Bureau a organisé avec la RDC des activités de renforcement des compétences des autorités congolaises et participé à des ateliers d’échanges de bonnes pratiques et d’expertises, qui ont porté notamment sur les techniques d’enquêtes de crimes internationaux, du recueil, de l’analyse et de la préservation des éléments de preuves, des questions de médecine légale, la protection des victimes et des témoins, et d’autres questions techniques en lien avec la délivrance de la justice face aux nouveaux défis", écrit à la DW le service de presse du procureur de la CPI avant de conclure : "Nous espérons que cette expertise pourrait être utile à la mise en place de cette cour pénale spéciale et à son opérationnalisation."