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Wagner coûte une fortune aux Etats africains

Jean-Michel Bos
18 mars 2023

Le Mali et la Centrafrique s’endettent pour payer les mercenaires russes et doivent offrir leurs ressources minières. Le Burkina Faso pourrait suivre.

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Des manifestants tiennent une banderole sur laquelle on peut lire "Merci Wagner"
Des manifestants sur le continent demandent de plus en plus l’intervention du groupe Wagner dans leurs pays respectifs Image : Florent Vergnes/AFP/Getty Images

Dix millions de dollars par mois. L'équivalent d'un peu plus de neuf millions d'euros, soit six milliards de francs CFA : voilà ce que représente la facture du groupe de mercenaires Wagner au Mali.

La somme a été évoquée pour la première fois, en septembre 2021, par l'agence Reuters, puis confirmée par le général américain Stephen Townsend, commandant d'Africom, le commandement des Etats-Unis pour l'Afrique, établi en Allemagne.

Ce montant est d'ailleurs reconnu hors-micro par les autorités qui refusent pourtant toujours d'admettre que les mercenaires russes sont sur leur territoire, préférant parler "d'instructeurs”.

Cette somme de neuf millions d'euros sert à payer la solde de 1.000 à 1.400 mercenaires. Soit un salaire mensuel de 7.000 à 9.000 euros par homme.

Sur l'année, cela représente plus de cent millions d'euros, soit deux fois le budget du ministère de la Justice et près de la moitié de celui de la Santé, selon les chiffres du Budget 2023 publiés par le ministère malien des Finances.

C'est sans doute pour ces raisons que le président algérien, Abdelmajid Tebboune, a déclaré, fin décembre 2022, sans ménagement, que l'argent investi par la junte au Mali pour s'offrir les services des mercenaires du groupe russe Wagner serait "plus utile s'il allait dans le développement au Sahel".

Mais une fuite récente a relancé les discussions sur cette somme. Erreur involontaire ou non, le ministère malien des Finances a publié ce qui semble bien être la facture de Wagner pour l'Etat malien.

Paiements dissimulés

Dans un "rapport sur la situation d'exécution provisoire du budget d'Etat”, en date du 30 juin 2022, une hausse importante des sommes allouées apparait dans le budget de l'Agence nationale de la sécurité d'Etat (ANSE), les services de renseignements maliens, placée sous l'autorité directe du président de la transition, le colonel Assimi Goïta.

Sous la ligne "autorisations d'engagement”, qui indique le maximum des dépenses publiques prévues durant une période définie, le budget rectifié de l'ANSE voit son enveloppe bondir de deux milliards à... 71,5 milliards de francs CFA.

Soit une hausse qui correspond à peu de choses près à six milliards de francs CFA par mois, ou neuf millions d'euros : le budget réclamé par le groupe Wagner aux militaires maliens.

Etait-ce une manière de dissimuler des versements ? Personne ne peut l'affirmer mais deux faits sont bien réels : les sommes concordent et cette augmentation a été par la suite effacée car elle n'apparait plus dans le budget 2023 de l'Etat malien.

Que Wagner fait de bonnes affaires en Afrique n'est un secret pour personne  : en République centrafricaine ou au Soudan, les hommes de Evguéni Prigojine se font grassement payer et puisque le budget de ces Etats ne suffit pas à honorer leurs tarifs, ils ont mis la main sur un certain nombre de mines d'or.

Car Wagner aime l'or et ce n'est pas un hasard si la plupart de ses interventions se font dans des pays richement dotés de ce minerai.

Pourtant, au Mali, les choses ne se passent pas aussi bien pour le groupe de mercenaires. En effet, si celui-ci gagne beaucoup d'argent en RCA et au Soudan, il semble que ce ne soit pas le cas au Mali. 

La junte ne peut plus payer

Pourquoi cela ? Plusieurs raisons sont à analyser mais d'abord, il faut revenir aux origines de l'implantation de Wagner au Mali, en décembre 2021.

Le Center for Strategic and International Studies (CSIS) a publié, en février 2022, une étude qui montre, avec des photos satellites, comment une base suspectée de Wagner (suspected Wagner group operating base) a été aménagée aux abords de l'aéroport de Bamako. 

Cette photo satellite de l'aéroport de Bamako indique le lieu d'une base présumée de Wagner
Photo satellite de l'aéroport de BamakoImage : CSIS/High Resolution/Maxar 2021

Entre deux clichés satellites effectués le 24 septembre 2021 et le 14 décembre 2021, il apparait clairement qu'une base militaire a été construite sur cet emplacement.

"Le personnel et le matériel ont probablement été transportés à Bamako à bord d'avions militaires russes”, explique le CSIS.

Des données de suivi de vol ont en effet enregistré un avion Tupolev TU-154 de l'armée de l'air russe, arrivé à Bamako le 19 décembre 2021, après être parti de Moscou via la Syrie et la Libye.

Cet avion, immatriculé RA-85042, fait partie du 223e détachement du ministère russe de la Défense, "qui a déjà passé des contrats avec des entreprises liées à Wagner pour transporter des mercenaires dans des pays tels que le Soudan”, poursuit le CSIS.

Cette photo satellite des abords de l'aéroport de Bamako montre un périmètre vide avant l'installation présumée de Wagner
Photo satellite des abords de l'aéroport de Bamako avant l'installation présumée de WagnerImage : CSIS/High Resolution/Maxar 2021
Cette photo satellite des abords de l'aéroport de Bamako montre le même périmètre mais cette fois après l'installation présumée de Wagner
Photo satellite des abords de l'aéroport de Bamako après l'installation présumée de WagnerImage : CSIS/High Resolution/Maxar 2021

Cette implantation militaire proche de l'aéroport de Bamako est confirmée par des sources sur place.

Mais très vite, les choses n'ont pas évolué positivement pour Wagner. Encore soumise à cette époque aux sanctions économiques de la Cédéao, la junte n'arrive pas à payer la facture de neuf millions d'euros par mois et l'Etat commence à s'endetter. Wagner perd de l'argent.

Mais si le Mali n'est pas rentable, la présence russe dans ce pays a un poids politique qui vaut bien quelques bilans dans le rouge. Surtout, Wagner fait ce qu'il a l'habitude de faire : il demande à être payé en nature en exploitant certaines mines d'or.

Plusieurs mines ont été identifiées. Comme celle de Syama, proche de la ville de Sikasso, une autre aussi aux environs de la ville de Koulikoro, près de Bamako.

Deux autres se trouveraient aussi à la frontière avec le Sénégal : les mines de Fekola et Gounkoto.

La particularité de ces mines ? Toutes se trouvent dans le sud du pays. Car le Mali n'est pas seulement une mauvaise affaire financière pour le groupe Wagner, il est aussi un pays moins facile à manœuvrer que la Centrafrique. 

Suspension des droits miniers

Comme le rappelait le Foreign Policy Research Institute, en mars 2022, “les réglementations gouvernementales sont beaucoup plus strictes qu'en RCA et les entreprises privées ne peuvent pas facilement les contourner. Les mines artisanales, en particulier celles du nord du Mali, sont contrôlées par des groupes armés, tels que la Coordination des mouvements de l'Azawad, qui ont désapprouvé l'arrivée du groupe Wagner.”

En résumé : Wagner ne s'approche pas des mines d'or du nord et le Mali a des lois qu'il est plus difficile de contourner.

Mais la situation pourrait être en train de changer : les autorités militaires ont suspendu récemment tous les droits miniers dans le pays et un audit du secteur serait en cours. Officiellement pour récupérer les "licences dormantes” qui seraient devenus des objets de spéculation. 

Mais certains soupçonnent les autorités militaires de faire de la place pour l'arrivée de Wagner. 

S'inspirant du modèle centrafricain, Bamako a aussi annoncé, en août 2022, la création d'une entreprise publique, la Société de recherche et d'exploitation des ressources minérales du Mali, destinée à accroître les revenus miniers de l'Etat malien.

Des mercenaires trop chers

Enfin, il y a le cas du Burkina Faso. Plusieurs centaines de militaires pourraient débarquer à Ouagadougou mais selon l'hebdomadaire Jeune Afrique, le chef de la junte, le capitaine Ibrahim Traoré, chercherait à négocier le tarif mensuel d'un mercenaire de Wagner – jusqu'à 9.000 euros par mois, selon nos estimations.

Selon un rapport publié en février dernier par All Eyes on Wagner, une organisation qui enquête sur les agissements du groupe de mercenaires, et intitulé "Burkina Faso sous influence”, les commentaires pro-russes sur les réseaux sociaux seraient par ailleurs en recrudescence depuis l'automne 2022.

Une campagne qui présente beaucoup de similitudes avec ce qui s'est déroulé en République centrafricaine.

A commencer par son acteur principal : l'Ivoirien Harouna Douamba, directeur de Aimons notre Afrique (Ana). Sa filiale média, Anacom, a soutenu le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra grâce au financement de Lobaye Invest, une filiale de Wagner en RCA.

Facebook a fini par interdire le groupe Anacom, qui regroupe 21 médias en ligne, selon le rapport de All Eyes on Wagner. Mais Harouna Douamba a créé une nouvelle société : le Groupe panafricain pour le commerce et l'investissement.

La société spécialisée dans la communication et le marketing digital, basée à Lomé et à Casablanca, est désormais active au Burkina Faso.

En dépit des liens démontrés entre Harouna Doumba et Lobaye Invest, "il n'est pas possible d'identifier au profit de qui la campagne (actuellement en cours au Burkina Faso) est faite”, conclut avec prudence All Eyes on Wagner.

 

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Jean-Michel Bos Journaliste au programme francophone de la DW.JMBos